Florent Beusse, directeur d’Atoba : « Le numérique est une révolution »

Français d’origine, Florent Beusse est à Maurice depuis vingt-deux ans. Ce Mauricien d’adoption a grandi à la campagne et se dit proche de la terre. Il saisit le monde en aquarelle et le pense en numérique ; c’est peut-être ainsi qu’il parvient à comprendre les gens d’ici…

Parlez-nous un peu de vous. Vous êtes aussi artiste n’est-ce pas ?

Oui, je suis dessinateur et aquarelliste, ma passion c’est de dessiner dans la rue. Je fais partie de ces gens qu’on appelle en anglais les « urban sketchers ». C’est de faire ces dessins dans mes loisirs, dans mes voyages. Le voyage pour moi, c’est de partir avec un carnet de dessin et de revenir avec des images dessinées de là où je suis allé, quel que soit l’endroit. Qu’il soit beau ou pas, ce qui m’intéresse c’est de représenter ce que je vois devant moi. J’ai fait un livre sur Madagascar et je viens de terminer un carnet de voyage sur les Seychelles. Et j’ai un projet, un carnet de voyage sur la Réunion.

Peut-on vivre du métier d’artiste à Maurice?

À Maurice ou ailleurs, il y a très peu de gens qui vivent de ça. La publicité est le complément naturel, cela permet de s’exprimer, de faire passer le message que j’ai envie, mais aussi de vivre. L’art peut servir aussi à faire passer un message, mais c’est plus étendu que cela. Il peut être considéré par certains comme un moyen de s’exprimer. Mais moi je n’appartiens pas au monde de l’art contemporain par exemple. Ce que je fais est différent, et peut être perçu comme étant plus léger, ou moins sérieux.

Vous faites donc partie de ceux qui font de l’art pour leur plaisir personnel, c’est ça ?

Exactement, oui. C’est un besoin indispensable, une seconde nature. Jusqu’à présent je le gardais dans un coin secret, et il y a quelque temps, des amis m’ont dit « Mais il faut en faire quelque chose ! » Donc, j’ai été poussé et ça a fait un premier livre de textes illustrés. Le deuxième a été fait après un voyage à Madagascar avec un ami, et puis j’en ai aussi fait un sur Maurice ! Maurice, c’était naturel, bien sûr. Et puis voilà, un projet en entraîne un autre…

Artiste, mais aussi à la tête d’une agence de communication visuelle ! Comment vous êtes-vous retrouvé à Atoba ?

Grâce à une série de rencontres ! C’est à l’IFM, lors d’un passage à Maurice, que j’ai rencontré des gens qui m’ont proposé de créer un studio graphique. Cela permettrait à leur maison d’édition d’avoir à côté d’elle des graphistes. C’était en 1993, et à l’époque il n’y avait pas de formation à Maurice, donc très peu de compétences. Et avec le temps, la compagnie s’est développée.

Et quels sont les services que la compagnie propose ?

On est une agence à 360 degrés. J’aime bien utiliser l’expression « one-stop-shop » de la communication. On va tout piloter à l’agence avec une approche très « terrain », très magasin. Pour nous, le magasin est le premier média. C’est un peu ce qui fait notre spécificité.

Et de nos jours, est-ce qu’une entreprise peut se permettre de ne pas communiquer ?

C’est difficile de répondre à cette question… En principe, non. Si on peut se permettre de ne pas communiquer, c’est qu’on est suffisamment connu par les clients. Si les clients qu’on cherche à obtenir nous connaissent et viennent vers nous, naturellement on n’a pas besoin de communiquer, mais ce cas de figure, il est très rare. À ma connaissance, on a tous besoin de faire savoir à quelqu’un qu’on a des services et des produits à lui proposer. Considérons un produit en magasin. Le vendeur a besoin de communiquer pour vendre ce produit, par le packaging par exemple. Les producteurs vont faire attention à l’emballage. C’est un premier support en communication.

Et dans le cas des services ?

Dans le cas des services, certaines personnes disent vouloir rester discrètes. Mais s’ils font des brochures, c’est de la communication. Donc on va s’apercevoir, en cherchant bien, que c’est le degré ou l’intensité de la communication qui peut changer. Mais, en général, on communique. Le seul qui ne communique pas, c’est l’artisan. Parce qu’il va s’adresser à des gens qui sont autour de lui, dans sa communauté proche. Donc il n’a pas besoin de faire de la publicité. Mais à partir du moment où on propose un produit ou des services à une personne qu’on ne connaît pas et qui est hors de la sphère directe, on a besoin de communiquer, de faire de la publicité ; à moins d’être très connu… Mais même là, on va s’apercevoir qu’il y a eu une communication quelque part.

La digitalisation a-t-elle eu un impact sur cette industrie ?

Oui, le numérique est une révolution. Mais Maurice l’utilise différemment. Les stratégies utilisées ici ne sont pas les mêmes que celles utilisées aux États-Unis par exemple. Il y a trois ans, c’était la grande question: comment intègre-t-on cela ? Il y a eu plusieurs réponses, chaque agence a trouvé la sienne.

Et quelle est la vôtre ?

La nôtre c’est de dire que le numérique n’est pas le cœur, mais le satellite. On considère que les Mauriciens en ont une utilisation différente. Par exemple, une des particularités à Maurice, c’est que Facebook occupe quasiment toute l’espace. Les autres réseaux sont très peu utilisés. Ailleurs, l’utilisation de Facebook est importante, mais pas autant qu’ici. C’est un élément très important. Un deuxième élément dans la communication c’est que Maurice, c’est à la fois un pays, mais aussi une région, un village. C’est petit et il y a une proximité. Donc, on ne peut pas utiliser un support numérique qui permet de toucher les gens, comme l’artisan, sur un large territoire, alors qu’on peut les toucher assez facilement en mettant des billboards. Les stratégies de communication varient d’un pays à l’autre. Par exemple, à l’étranger, quand on veut faire une campagne nationale, le numérique va représenter un certain coût. Mais ce sera moins important que les supports classiques, comme la télé, les billboards, la presse, etc. Si le territoire est vaste, cela demande des moyens importants. Donc l’investissement dans le numérique par rapport à cette campagne sera bien moindre. C’est une des raisons, mais pas la seule, qui explique l’utilisation du numérique. C’est comme un moyen privilégié pour la communication qui va ensuite avoir un relais avec les supports classiques.

Et à Maurice ?

Ici, parce qu’on est dans la proximité, le coût pour faire une campagne télé est relativement modeste, comparé à ces pays européens par exemple. Donc, faire une campagne à la télé ne va pas coûter très cher, voire, moins cher que monter une stratégie Facebook. Parce qu’on a tendance à se dire que Facebook c’est gratuit. Alors qu’il faut fabriquer le contenu. C’est la communication virale qui est gratuite. Mais il n’y a communication virale que s’il y a du contenu. Il a fallu donc en établir une qui est spécifique à Maurice. Une stratégie qui a été utilisée et testée, pour arriver à des conclusions. Il est aussi important de communiquer par rapport aux spécificités du pays.

Le secteur de la communication est toujours en évolution donc ?

La vérité d’aujourd’hui n’est pas la vérité de demain. Ce que je fais aujourd’hui je ne le faisais pas il y a dix ans, ou vingt ans. Le métier change sans arrêt, mais il faut faire bien attention à ne pas prendre pour vérité tout ce qui nous vient de l’extérieur. Parce qu’on a tendance à croire que c’est mieux si quelqu’un le fait avant nous, et qu’on aura un temps d’avance si on l’applique ici. Mais c’est plus subtil que cela. Ça va arriver, mais quand ce sera le cas, l’évolution sera différente. Elle sera Mauricienne.

Capital Media

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