Carbocendres : L’obscur projet de LafargeHolcim

Alors que le projet était au stade embryonnaire, Capital avait déjà tiré la sonnette d’alarme au mois de mai 2014. LafargeHolcim, qui occupe 58,4 % du marché du ciment, a conclu un contrat, d’une durée de 14 ans avec un consortium des Independent Power Producers (IPPs) pour la récupération de milliers de tonnes de carbocendres, qui seront désormais l’intrant principal de ses produits. Un projet lucratif pour les promoteurs mais certes néfaste d’un point de vu de santé publique

Les centrales thermiques génèrent des quantités volumineuses de carbocendres, qui sont entassées en formes de collines sur les propriétés sucrières ou enfouies dans le sol. Depuis des années, on a abusé de l’inconscience  des planteurs pour faire passer ce déchet toxique pour de l’engrais. Ce subterfuge a permis de répandre en grande partie des carbocendres  dans les champs de cannes. Ces champs, lieux de travail de centaines de citoyens et qui se transforment souvent, le temps d’une récolte, en terrain de jeux pour les enfants de « tabissman ».

Des années durant, les puissants IPPs ont enfreint les règlements et autres accords conclus avec l’état. D’abord, cela fait belle lurette que la proportion charbon / bagasse n’est plus respectée. Ensuite, ils font fi des recommandations émises par le ‘Technical Advisory Committee on Coal Ash Management’ du ministère de l’Environnement. Cela malgré les divers mises en garde des spécialistes et de la société civile sur les risques sanitaires et environnementaux liés à ces pratiques. Maintenant que la situation est devenue insoutenable et le fait que tous les IPPs indistinctement essaient de se forger une réputation de ‘Vert et Responsable’, ils ont trouvé la solution miracle grâce à LafargeHolcim. Celle de transférer ce produit toxique dans les maisons, centre commerciaux, immeubles et les routes du pays.

Les carbocendres regroupent les scories issues des fours des centrales thermiques ainsi que les cendres volantes échappées des cheminées que l’on récupère en les pulvérisant d’eau. Les analyses de Greenpeace ont mis en évidence dans les carbocendres la présence de plus de 20 substances nocives distinctes, parmi lesquelles, on retrouve le plomb, du cadmium, du mercure et de l’arsenic. Les experts sont convaincus que du fait que le charbon contient toujours quelque part d’uranium et de thorium, les carbocendres sont radioactives.

Le Coal Burnout (CBO) Facility de l’axe Omnicane–Terragen, avec un actionnariat réparti à 65 % et 35 % respectivement, sera opérationnel en septembre 2016. Dans les documents officiels, on note que l’objectif de cette unité au coût de USD 21 millions, est de réduire le taux de carbone dans les cendres afin de traiter 74 283 tonnes de carbocendres, produits par la combustion de 297 133 tonnes de charbon avant d’être acheminés au cimentier LafargeHolcim.

Cette opération toxique permettra à LafargeHolcim de créer un nouveau marché en incorporant les carbocendres dans leurs produits. Selon les promoteurs, le taux de valorisation des carbocendres est à plus de 100 %. De plus, l’exclusivité de cet intrant permettra à LafargeHolcim d’étendre son monopole en pratiquant un prix nettement plus compétitif que ses concurrents. A condition qu’ils arrivent à expliquer aux citoyens ce procédé miracle qui consiste à rendre écologique, le mélange des produits toxiques (carbocendres) à un produit chimique (ciment). Un produit miracle qui nous rappelle un autre du siècle dernier, dont nous subissons toujours les séquelles : l’amiante, connu comme “magic mineral”. C’était avant que la communauté internationale reconnaisse l’incidence de ce produit ‘miracle’ sur la santé publique et qui a occasioné la mort des millions d’êtres humains à travers le monde.

L’incompétence des autorités

Quant aux autorités responsables, le laxisme est flagrant et l’inconscience encore plus, selon les militants écolos. Pour Imteaz Bucktowar, militant écolo qui avait consigné une déposition en 2012 contre les IPPs pour l’épandage des résidus toxiques dans les champs de cannes, « ces haut cadres censés guider les décideurs politiques dans la prise de décision, sont dépourvus de capacités pour gérer les situations sans précédent auxquelles le pays fait face. Chaque mauvaise décision impactera sur la vie des générations futures ». Dans le rapport ‘HAZARDOUS WASTE INVENTORY REPORT FOR MAURITIUS’, on observe que les autorités locales se fient aux décisions de l’US Environment Protection Agency, dans l’affaire de la catastrophe écologique au Tennessee en 2008. En effet en 2015, l’administration américaine a maintenu les carbocendres hors de la liste des produits classifiés toxiques. Voilà de quoi faire jubiler les promoteurs. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que la politique américaine est dominée par les lobbies qui sont reconnus officiellement. En 2000, l’administration Clinton avait enlevé les carbocendres de la liste des produits toxiques. Suite à la catastrophe de Tennessee en 2008, Barack Obama les a remis sur cette fameuse liste. En 2015 suite aux pressions insoutenables du congrès dominé par les républicains et au sein même de son parti, Obama a dû revenir sur sa décision. Cette décision fut possible grâce aux 244 lobbyistes travaillant pour le secteur de la construction et du charbon qui ont dépensé plus de USD 350 millions en 4 ans pour avoir le soutien des décideurs. Selon les médias américains, Bill Clinton a grandement bénéficié du soutien de ces lobbies lors de ces investitures et ils ont une contribution importante, soit USD 3 milliards qu’a reçus la Clinton Foundation. Selon Imteaz Bucktowar, « c’est inconcevable qu’on se fie à de tels précédences. On est un pays souverain et il nous faut agir en fonction de nos besoins et aspirations futures. Si on juge que les carbocendres contiennent des métaux lourds pouvant impacter sur l’humain et l’environnement, comment alors l’entasser dans nos maisons serait-il la solution ? »

Note de la rédaction :

Nous avons sollicité la réaction de toutes les parties concernées. Seule la société UBP, par l’entremise de son CEO Stephane Ulcoq nous a répondu. Sa réponse : UBP n’achète pas et n’utilise pas les carbocendres produites par les centrales à charbon (…) Récemment nous avions demandé à 2 centrales de nous faire avoir un échantillon de leur ‘bottom ash’, dans le seul but d’en faire une analyse granulométrique dans notre laboratoire.

 

Amiante : mort pour rien

Les premiers soupçons sur la dangerosité de l’amiante ont été émis au tout début du XXe siècle. C’est en 1931 qu’apparaît, au Royaume-Uni, la première réglementation pour la protection des travailleurs contre l’exposition à l’amiante. En France, l’asbestose a été prise en charge comme maladie professionnelle à partir de 1945. Les premières règles spécifiques de protection des travailleurs ont été émises en 1977. Ensuite, l’usage a été de plus en plus limité, sous l’impulsion de directives européennes relatives tant à la limitation des utilisations qu’à la protection des travailleurs. L’interdiction complète a été annoncée en 1996 pour l’année suivante, avec quelques rares exceptions, qui ont pris fin le 1er janvier 2002. Une directive européenne a interdit l’amiante au 1er janvier 2005 dans tous les Etats Membres (directive 1999/77/CEE du 26 juillet 1999).

En 1998, le Canada, alors 2e producteur mondial d’amiante, avait attaqué la décision française d’interdire l’amiante devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour violation des règles du GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Après presque 3 ans de procédures, le contentieux a abouti à une victoire des Communautés européennes qui défendaient la France. Dans son rapport publié en 2001, l’organe d’appel de l’OMC a jugé que le décret français interdisant l’amiante n’était pas contraire aux obligations de l’Union européenne vis-à-vis de l’OMC. Il a ainsi confirmé les conclusions du groupe spécial, qui avait confirmé notamment la cancérogénicité du chrysotile, l’absence d’un seuil d’innocuité, l’importance des populations à risques, l’inefficacité de l’utilisation contrôlée, la moindre nocivité des produits de substitution. C’était la première fois qu’un pays membre du GATT ou de l’OMC parvient à démontrer qu’une mesure nationale est « nécessaire à la protection de la santé et de la vie des personnes ».

La CTSP appel au Boycott des produits LafargeHolcim

Un projet diabolique et inhumain. C’est du moins l’avis de Reaz Chuttoo, de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP). Il affirme que son mouvement s’opposera fermement à cette initiative et réclame le boycott de tous les produits des compagnies impliquées dans ce projet. « Nous allons nous battre, car il est question de la vie de nos enfants », dit-il. Le porte-parole de la CTSP va plus loin dans ses analyses et nous rappelle le triste épisode de l’amiante : « Il nous a fallu un siècle pour constater les effets nocifs de l’amiante, qui avait pourtant été introduit comme une matière fiable et novateur. Aujourd’hui, ce produit est honni et banni car il est responsable de maladies graves, notamment respiratoires (cancer du poumon, mésothéliome)». Le CTSP déplore l’irresponsabilité de l’état et affirme que les autorités auraient dû ne pas accorder leur approbation sur la base du principe de précaution. Reaz Chuttoo tire la sonnette d’alarme sur les risques auxquels sont exposés les employés de ces sociétés.

Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement

« C’est une question de santé publique »

Vassen Kauppaymuthoo exprime des réserves sur ce projet. « Le ciment est poreux et se dissout dans l’eau. S’il y a une fissure dans la dalle d’une maison, et l’eau s’accumule sur la dalle, l’eau va pénétrer et entraîner avec elle tous ces métaux lourds qui font partie du ciment et peut alors provoquer une contamination. L’air risque également d’être contaminé. Il ne faut pas s’engager dans cette voie-là car elle est encore méconnue, et avant de s’assurer qu’on a pris toutes les précautions nécessaires. Car il ne faut pas que transposer le problème dans la maison des gens où il relèvera d’une question de santé publique », met en garde l’ingénieur en environnement.

Rashid Imrith, président de la FSSP

« L’état sera responsable des actes de ses fournisseurs »

Interpellé sur le projet de LafargeHolcim, Rashid Imrith, président de la Fédération des Syndicats du Secteur Public (FSSP), émet une sérieuse mise en garde au gouvernement. Selon lui « il est hors de question que les fonctionnaires ou autres employés des corps parapublics soient placés dans des bureaux construits avec des matériaux à risques. Que ce soit le projet de Heritage City, les Smart Cities, les routes ou même les maisons des citoyens, l’état sera responsable des actes de ses fournisseurs. Il semble qu’on n’a pas retenu grand-chose de l’expérience douloureuse que nous avons eue avec l’amiante. Aujourd’hui, on n’arrive pas à enlever l’amiante dans sa totalité et voilà qu’on vient nous empoisonner avec des nouveaux produits ». Pour Rashid Imrith, il est primordial de composer l’avenir en tenant compte du passé. Il nous souligne au passage cette citation du philosophe allemand Friedrich Nietzsche : « L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue ».

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