Christine Steininger, paléoanthropologue : « Nous sommes arrivés à la fin d’un cycle »

Les os n’ont pas de secret pour elle. Au simple contact d’un os, Christine Steininger peut dévoiler s’il s’agit d’un humain ou d’un animal. Interview non sans un retour dans le temps avec cette passionnée des fossiles

Par Jessen Soopramanien

Alors, qu’est-ce qui est apparu en premier : la poule ou l’œuf ?

Vous allez me poser la question la plus difficile d’entrée? (Rires). Eh bien, je vais dire que les créatures unicellulaires ont été les premiers fossiles sous forme de vie sur la terre. Connu aussi comme cyanobactéries, ils ont produit l’oxygène dans l’air.

Dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec Charles Darwin sur l’origine de l’humain ?

Je partage ses thèses sans réserve, d’autant que le concept de sélection naturelle est très important, c’est-à-dire l’évolution des espèces et leur adaptation à leur environnement au fil du temps. Parenthèse : Darwin n’a jamais soutenu que ce concept signifie la survie du plus fort. La sélection naturelle fait que les organismes interagissent ensemble dans leur environnement. Donc, si vous avez des gènes favorables dans un environnement favorable, alors vous allez survivre. Dans tout autre cas, la survie n’est pas possible. Ce qui explique l’importance de la sauvegarde du climat et de l’environnement. Sinon, des effets néfastes feront surface. Par exemple, la détérioration lente des récifs. Une fois qu’ils sont détruits, et l’on sait tous qu’ils sont irremplaçables, l’écosystème marin disparaitra, car la nature en elle-même est d’un équilibre extraordinaire. En cette ère moderne, la race humaine oublie, à tort, à quel point la préservation de l’environnement est importante. Hélas, les humains sont de plus en plus éloignés de leur environnement.

Comment les humains se sont adaptés à leur environnement au fil des siècles ?

Les environnements dans lesquels nous vivons ont un impact considérable sur notre évolution. Revenons dans le temps. Contrairement aux croyances populaires, nous faisons partie de la grande famille des primates et non des chimpanzés. Plus de 23 millions d’années de cela, les hominidés, nos ancêtres originaires de l’Afrique dans des environnements forestiers, ont commencé à migrer vers d’autres continents, notamment en Asie. Cette migration vers des d’autres lieux moins forestier les obligent à se tourner vers d’autres ressources alimentaires. C’est ainsi qu’ils commencent à chasser et consomment de la viande crue. Avec l’augmentation de la technologie pour fabriquer des armes, l’augmentation de la stature et la taille du cerveau, les hominidés commencent à ressembler à des humains mais qui ont encore des caractéristiques primitives. Par la suite, avec les mutations, surviennent des environnements plus secs, qui obligent les hominidés à migrer vers les côtes et une nouvelle fois, ils développent de nouvelles technologies pour pêcher. Notre environnement joue ainsi un rôle prépondérant dans notre évolution, nous poussant à dépasser nos limites et à s’adapter adéquatement. Aujourd’hui, l’humain est même présent en Antarctique !

Sommes-nous donc parfaits ou l’évolution suivra encore son cours ?

Non, nous sommes loin d’être parfaits. Toute créature vivante est loin d’être parfaite. Mais ceci est la fin de notre évolution. Nous sommes arrivés à la fin d’un cycle. Soit nous nous adaptons à quelque chose de nouveau, évolué, ou nous allons disparaître. C’est la seule option plausible. Mais pour cela, il ne dépend que de la façon dont nous traitons l’environnement.

Comment procédez-vous à la désignation d’un fossile ?

Mon travail me permet de découvrir ce qui n’a pas encore été exploré et exploité. C’est fantastique. La désignation d’un fossile se fait souvent par l’admiration qu’on a pour une personne ou quelque chose. Quand j’ai découvert mon premier fossile, un visage humain, je l’ai nommé ‘Pancake’ (Crêpe) parce qu’il était plat. Savez-vous pourquoi le fossile de l’espèce Australopithecusafarensis, découvert en 1974 en Ethiopie, est nommé Lucy ? Tout simplement parce que les chercheurs écoutaient, à ce moment là, la chanson ‘Lucy in the sky with Diamonds’ par les Beatles (rires).

Pas beaucoup de femmes embrassent votre carrière. Difficile de se faire une place au soleil ?

Au début, on pouvait compter les femmes…mais ce n’est plus le cas. Mais c’est certain que c’était difficile à l’époque, c’était comme un club sélect d’hommes et c’était difficile de se faire un nom pour soi.

A-t-on tout découvert ?

C’est sans fin. L’Afrique du Sud est un des pays les plus riches en ce qui concerne le patrimoine de fossiles. Chaque année, nous découvrons davantage de fossiles. Jusqu’ici, nous avons excavés 15 sites dans le Cradle of Humankind, un World Heritage Site en Afrique du Sud, alors qu’il y en a 200 sites inexplorés !

Peut-il y avoir un consensus entre les explications religieuses des origines humaines et celle de la science?

Si vous m’aviez posé cette question il y a 10 ans, alors ma réponse aurait été qu’il n’y a pas de place pour les deux. Mais aujourd’hui, je constate que les gens ont compartimenté leur foi et la science. Mon travail en tant que paléoanthropologue est d’être factuel autant que possible : je creuse, j’excave, j’analyse les fossiles et les données, je fais mes calculs et je démontre les résultats. Il incombe ensuite à la perception de chacun. Tout récemment, une étude menée en Afrique du Sud a donné des résultats intéressants : des personnes sondées, 70 % se sont prononcés religieux et ensuite 60 % affirment avoir une croyance dans l’évolution. Et bien ça ne fait pas 100% ! Voyez-vous, les gens compartimentent les deux. Il est donc très difficile d’avoir un consensus, mais pas impossible d’être religieux et fasciné en même temps par la science.

 

Bio Express

Née d’une mère Taiwanaise et d’un père Tchèque, Christine Steininger a grandi aux Etats-Unis depuis l’âge de 3 ans. Le sens d’explorer l’inconnu s’est réveillé en elle alors qu’elle n’avait que 8 ans. Elle était fascinée par un grand espace à l’arrière de la maison familiale en Illinois, Etats-Unis. Auparavant, cette région était habitée par les Indiens d’Amerique. « J’ai entendu des gens parler de la possibilité de la présence des flèches dans cet espace. Tout cela a fait courir mon imagination » explique Christine Steininger, non sans un brin d’émotion dans la voix. Apres des études d’anthropologie au Northern Illinois University, elle sera prise sous la houlette du Pr Fred Smith, qu’on ne présente plus dans le milieu des paléoanthropologues. C’est ainsi que Christine Steininger débarque en Afrique du Sud en 1996 pour excaver deux sites, Makapansgat et Gladysvale. Elle aura ensuite la chance de poursuivre ses travaux dans le célèbre Cooper’s Cave, qui date de plus de 1,6 millions d’années. « A chaque fois que je découvre un nouveau fossile, je suis toujours aussi émerveillée comme à ma première trouvaille. D’ailleurs, je danse à chaque fois » soutient Christine Steininger.

Capital Media

Read Previous

Deva Armoogum : Beyond PRB, a Duty to Serve

Read Next

Forges Tardieu : Une entreprise qui défie le temps

%d bloggers like this: