Think Tank – D’Encre et de Sang

Le 9 décembre 1987, les manifestations dans les rues de Djbalia, décriant les atrocités commises par les forces israéliennes, engendrent la toute première Intifada qui va durer jusqu’en 1993. La fermeture de l’université de Birzeit contraint bon nombre de jeunes à abandonner leurs études et à s’engager de façon divers dans la défense de la cause palestinienne. Certains choisissent les armes (des pierres) et d’autres à l’instar de notre invité de ce mois, dégoupillent leurs stylos

Zaki Abu Halaweh, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir journaliste ?

En 1985, j’étudiais à la Faculté des arts de l’Université de Birzeit et l’éclatement de la première Intifada en 1987 a contraint à la fermeture de toutes les institutions scolaires. Eparpillés dans les rues, mes compagnons et moi, nous étions à la recherche d’un emploi. Comme j’étais porté sur l’écriture, j’ai décroché mon premier emploi chez le « An-Nahar », où mon travail consistait à couvrir les nouvelles dans Jérusalem. Une ville qui était sous l’ère de l’Intifada. Deux ans après, mes articles d’investigation m’ont permis de me retrouver au sein de la rédaction de « Jérusalem », le plus prestigieux journal de la Palestine à cette époque. Notre bureau se trouvait à « La Maison d’Orient » qui était alors le siège du ministère palestinien des Affaires étrangères. Ce qui m’avait permis d’établir un réseau très étendu et d’accéder à des nouvelles de la chaine Al Aqsa. Mais les nouvelles se résument toujours à des exactions commises par les forces israéliennes et les multiples violations dans la ville occupée. Quelque temps après, je me suis retrouvé chez Al Quds et ça fait vingt ans déjà. Ce travail m’as permis de côtoyer beaucoup de monde, de participer aux divers sommets. Mais partout où je vais, je ne fais que transporter les souffrances de mon peuple.

Ça ressemble à quoi, votre journal, votre quotidien au sein de la rédaction ?

Ça contient quotidiennement le nombre de morts. Dans votre pays, vous avez des rubriques de « Chiens écrasés » et chez nous c’est plus « Palestiniens massacrés ». C’est comme si cela faisait partie de la maquette. On ne parle que des atrocités et de morts. Sans compter évidement que la censure permanente de l’autorité israélienne ne nous permet pas de nous exprimer librement. Notre rédaction n’a rien de semblable à celles de nos confrères ailleurs dans le monde. La terreur est une permanence en Palestine et pour le journaliste, la seule constante demeure l’incertitude. Prenez le cas de l’offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza en 2014, dix-sept Palestiniens qui travaillant dans le domaine des médias ont été tués au cours des 51 jours qu’a duré cette barbarie. Quelque temps avant, plus précisément en 2000, lors de la seconde Intifada, en une dizaine de jours, 29 journalistes ont été victimes des tirs des snipers israéliens. Ici on tire sur des journalistes comme du gibier. La liberté est violée et les droits les plus fondamentaux de l’humain, assassinés quotidiennement. On rencontre nos collègues le matin sans savoir si le lendemain on va se revoir.

Comment arrive-t-on à gérer financièrement un journal en Palestine ?

Al Quds est un journal indépendant qui subsiste grandement grâce aux recettes provenant des annonces. Nous ne percevons aucune aide financière du gouvernement palestinien. Il nous faut aussi suivre le pas numérique qui nécessite des investissements considérables. Tout comme les titres dans d’autres pays, nous faisons face à des défis, que ce soit au niveau de l’évolution technologique ou accès aux capitaux. Mais le contexte dans lequel nous opérons, n’a rien de comparable avec ce qui se passe ailleurs. La survie de notre journal c’est aussi le prolongement de cette mission sainte à laquelle nous nous sommes dédiés : Celle de propager les vérités de notre quotidien et de militer pour la paix.

Quels sont les autres défis auxquels le journaliste palestinien doit faire face ?

Hormis le perpétuel défi de rester en vie, le journaliste palestinien est appelé à travailler dans des conditions d’extrême précarité et de persécution. Les arrestations arbitraires sont monnaie courante. Il suffit d’un rien pour que l’autorité Israélienne invoque le prétexte d’incitation à la violence pour interpeller les journalistes. Sans compter la censure de nos écrits. Imaginez un instant que vous revenez d’un endroit qui a été bombardé ou pilonné et qui a fait de nombreuses victimes parmi les civils. Vous avez constaté de visu des infrastructures anéanties et les corps des enfants mutilés par des shrapnels (Ndlr – éclats d’obus). Comment rapporter ce massacre, sans dire que c’en est un ? Dans ces circonstances, même l’homme le plus lettré aura du mal à trouver les mots.

Comment réagit la communauté internationale face à ce contrôle pesant ?

Quand je rencontre des confrères lors des conférences et autres sommets, ils expriment leurs sympathies, voir même un sentiment de colère. Mais officiellement, on doit se contenter uniquement de ces piles de rapports qui condamnent la violation des droits de l’être humain et le piétinement des valeurs humaines en Palestine. Le contrôle israélien sur le journal Al Quds dure depuis l’occupation en 1967, et quand je pense que la communauté internationale a décrété une journée pour reconnaitre le droit à une presse libre, je me demande à quoi peut bien servir ce genre d’observation, si tous nos articles sont sujets à la censure par une autorité illégitime. Déjà, il faut reconnaître que l’hypocrisie monstrueuse dont fait preuve la communauté internationale sur le cas des Palestiniens est une honte pour l’humanité. Le traitement de ce sujet par certains médias occidentaux est pire que ces bombes qui s’abattent sur des enfants. Ils sont nombreux ces médias internationaux qui récusent le terme « Territoires occupés », ou de montrer les atrocités commises. Comment peut-on parler de neutralité journalistique alors qu’on accorde la parole uniquement aux partisans israéliens ? Le peu qui ont le courage de dénoncer les massacres sont considérés comme des dangereux antisémites. En quoi ce que nous subissons depuis des décennies est si différent de l’holocauste ? Sauf peut-être le fait que nous nous battons contre tous.

Croyez-vous réussir à remporter cette guerre uniquement avec votre stylo ?

D’abord, je ne crois pas qu’on pourrait qualifier de ce qui se passe en Palestine comme une guerre. Une guerre c’est quand deux armées se battent de façon conventionnelle. Un orphelin de 10 ans lançant des pierres contre l’armée la plus puissante du monde, qui lui fonce dessus, n’est pas une guerre. C’est un massacre ! Ça peut sembler irréaliste, oui, je me bats avec comme ultime arme, mon stylo. L’encre de mon stylo, c’est le sang de ces milliers de victimes palestiniennes. La bille de mon stylo, c’est la vérité. La seule et unique vérité. Avec mon stylo, j’arriverai à percer le blindage de ces Merkavas (chars de combat israéliens) aussi bien que le silence de tous ceux qui feignent l’ignorance. Aujourd’hui, malgré la censure, les images des atrocités perpétrées par les forces d’occupation israéliennes atteignent le monde à une vitesse incroyable. Le silence du monde arabe est dévoilé et l’impuissance de la communauté internationale face à la domination d’Israël est révélée au monde. Aussi longtemps qu’il y aura une goutte de sang palestinien disponible, ce stylo continuera à écrire et cela jusqu’à ce qu’on arrive à établir un état palestinien libre avec comme capitale, Jérusalem.

Qu’en est-il des efforts diplomatiques ?

La direction palestinienne a fait tous les efforts possibles pour faire avancer le processus de négociations bilatérales avec Israël. Mais le choix de la politique israélienne favorisant l’occupation militaire et l’impunité accordée par la communauté internationale, ont contraint à l’échec les efforts pour établir un état palestinien libre. Incontestablement, toute initiative de la communauté internationale doit respecter les droits du peuple palestinien. Ce qui inclut mettre fin à l’occupation, la création d’un état indépendant et de trouver une solution juste en ce qui concerne les réfugiés palestiniens. Ceci dit , on doit se rendre à l’évidence que les efforts diplomatiques ne peuvent réussir sans un équilibrage des rapports de forces. Le processus bilatéral entre les deux parties est inégal, entre une puissance occupante et un peuple sous occupation. La communauté internationale ne peut continuer à traiter Israël comme l’enfant gâté de la classe et les pays occidentaux doivent cesser d’incarner ce rôle de parents gâteau cédant à tous les caprices de leurs progénitures. Il incombe à la communauté internationale la responsabilité de créer les mécanismes de reddition, de contraindre Israël à respecter les principes fondamentaux du droit international des droits humains et de veiller à ce que les négociations sont basées sur une référence claire, fondée sur le droit international et les résolutions des Nations Unies. Ils sont nombreux, les Palestiniens qui se demandent, à quoi ça sert de passer des résolutions, ou même à quoi ça sert d’avoir une organisation comme l’ONU ?

Que répondez-vous aux gens dans des pays lointains qui sont convaincus que le conflit en Palestine est une affaire de religions ?

Les causes de la violence et de la haine dans notre région ne résident pas dans les religions. Cette perception est le résultat de la propagande des forces de l’occupation israélienne. Il n’y a aucun différend à ce niveau, du moins pas sous la forme de la relation entre les musulmans et les juifs, ou entre musulmans et chrétiens. Nous ne sommes même pas anti- Israéliens, ou anti-Juifs. Nous voulons récupérer notre pays, nos terres. Nous voulons que nos enfants puissent manger, avoir une famille, aller à l’école, jouer dans les rues sans craindre que le prochain obus va les déchiqueter. Nous voulons la paix. A ces gens qui résument ce massacre à une affaire de religion, je leur demande qu’est-ce qu’ils auraient fait s’ils étaient durant des années soumis à un blocus et un embargo dans leur propre pays ? S’ils n’avaient pas accès aux produits de base ou ne jouissaient pas de cette liberté de circuler dans leur pays ? C’est de la vie qu’il s’agit et non de croyances religieuses. D’ailleurs, il n’existe aucune religion au monde qui puisse cautionner une telle barbarie. On vit à une époque où à l’autre extrémité de la planète, en Australie, on veut se réconcilier avec son passé, en reconnaissant les atrocités commises envers le peuple aborigène. A l’autre extrémité, au Canada, le Parlement présente ses excuses aux autochtones pour le déracinement sauvage qu’ils ont subi. Et pourtant, on cautionne le massacre des enfants palestiniens de différentes confessions confondues.

Quel est votre message aux journalistes du monde?

Mon message, c’est un refrain qui date depuis des décennies et s’adresse non seulement aux journalistes mais s’étend aux politiques, intellectuels, religieux, bref à tous les humains. Vous ne savez peut-être pas où se trouve la Palestine sur la carte du monde et vous ne le saurez peut-être jamais, car elle risque d’être effacée. Les actions de certains d’entre vous et l’inaction des autres vous rendent responsable de l’extermination de notre peuple. En tant qu’humain vous devez vous indigner et dire “non” à l’inacceptable. Vous devez empresser vos décideurs politiques à faire preuve de fermeté au sein des organisations internationales en sanctionnant sans réserves les auteurs de ces crimes barbares. Vous, les journalistes, exprimez votre solidarité avec les dizaines d’employés de divers médias détenus arbitrairement dans les prisons israéliennes. Les journalistes du monde doivent être avec nous afin de militer pour la libération de ces innocents. La liberté de la presse ne s’arrête pas à vos frontières. C’est quelque chose d’universel.

Capital Media

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