Renaud Azema, directeur général de Vatel Maurice : Un demi-siècle de témoignages

Toujours soucieux d’étoffer sa connaissance, Renaud Azema a réalisé ses rêves en parcourant dix sites à travers le monde. De retour à Maurice, il partage, avec Capital, ses expériences, son vécu à travers ses voyages initiatiques et insiste que la culture ne doit plus faire défaut dans le secteur touristique

Vous revenez des vacances bien méritées sans doute. Mais on a l’impression que c’était plus une sorte d’évasion afin de se ressourcer….

La raison principale de ce voyage était mon passage du demi-siècle. Je voulais célébrer mes 50 ans de belle manière. Au départ il ne s’agissait pas d’un tour du monde, mais simplement d’un séjour. Mais après, ce fut un voyage à tiroirs, un voyage d’évasion et de découvertes magnifiques. Il fut ensuite un voyage de réflexion et de prise de recul. Je suis parti à un moment où j’avais besoin de retrouver un peu de sérénité avant prendre de bonnes décisions et de pouvoir continuer à avancer. Enfin ce fut un voyage où mes découvertes et mes rencontres m’ont amenés à voir le monde et la vie sous un angle différent. C’est en tout cas, avec certitude, un voyage dont je suis revenu plus riche et plus confiant dans la vie, tout en ayant acquis une plus grande capacité à relativiser les soucis quotidiens qui nous assaillent.

Quels sont les pays que vous avez visités ? Et qu’est-ce qui a motivé le choix de ces destinations ?

J’ai visités non pas des pays mais des sites que j’avais choisis pour leur renommé. D’abord Washington. Capitale des Etats Unis, c’est une ville riche d’histoire où les musées sont gratuits. J’ai visité Las Vegas, ville par laquelle j’ai accédé au Grand Canyon, en plus de survoler en hélicoptère le Colorado, le barrage de Hoover et de prendre un verre de champagne au fond du canyon. Puis, les ruines Mayas du Yucatan, et en particulier la Pyramide de Chichen Itza, une des nouvelles merveilles du monde, et symbole de l’unification des civilisations Mayas et Toltèque ; La Havane au Cuba ; Le Macchu Picchu au Pérou était un des points essentiels de ce voyage. Héritage des Incas, épargné par les conquistadores qui sont passés sans la trouver, la cité fascine. Rien que le nom m’a bercé pendant des années ; Ensuite Sydney et Auckland, la première pour son architecture et la seconde pour la culture Maori qui prend ses racines prés de Rotorua ; Enfin en Asie j’avais identifié le Vietnam et plus particulièrement la baie d’Along, le Cambodge et plus particulièrement les temps d’Angkor et le Tibet pour le Potala principalement. Autant des lieux d’exception parce qu’ils résonnent dans l’inconscient collectif et parce qu’ils évoquent chez moi une partie de l’histoire de l’humanité que je voulais découvrir dans sa diversité, dans ses nuances, dans sa réalité brute.

Quels sont les sites qui vous ont le plus fasciné ?

Si je devais opérer un classement, je placerai en tête le Macchu Pichu pour l’énergie qui se dégage du site, son histoire incroyable et les difficultés qu’il faut surmonter pour y parvenir. Ensuite, les temples d’Angor et en particulier le temple de Bayoun qui avec ses 54 visages sculptés, renvoie aux quatre points cardinaux le sourire énigmatique d’un roi qui avait probablement découvert le bonheur. Ce temple m’a profondément touché. Enfin dans le tiercé j’inscrirai le Lhassa qui m’a ému et développé en moi des sentiments contradictoires de respect, de piété et de tristesse. En d’autres lieux c’est probablement la colère qui aurait dominé, mais au pays du Bouddhisme la maitrise des passions est omniprésente. J’ai ressenti la puissance de cette foi qui se heurte à la violence d’une puissance coloniale qui s’impose de façon quasi inéluctable.

On parle davantage de l’ile Maurice comme une destination de tourisme vert. Que pensez-vous de l’offre en comparaison aux pays que vous avez récemment visités ?

Maurice avant d’être une destination « verte » est et restera, je pense, dans l’esprit de la majorité de sa clientèle une destination tropicale et balnéaire. Maintenant si l’on veut comparer Maurice aux pays que j’ai visité, la comparaison (pour autant qu’elle soit pertinente) risque de souvent tourner en défaveur de Maurice pour ce qui est du tourisme vert.

« Pour en faire un bien nécessaire il faut que d’autres activités puissent prendre le relais de la croissance et faire de sorte que le tourisme ne soit plus ‘obligatoire’ au développement. Car alors on peut faire des choix en faveur du développement durable, et non plus en fonction de facteurs économique à court terme

»

D’une part parce que les espaces ne sont pas comparables en taille mais aussi parce que, du fait de cette première caractéristique, les pays que j’ai traversé offrent une biodiversité beaucoup large. Je ne pense pas que les destinations puissent se comparer systématiquement deux à deux. La seule peut être qui pourrait raisonnablement faire l’objet d’une comparaison c’est Cuba. Et de mon point de vue, pour l’ensemble du produit touristique et de l’industrie qui lui est relié, Maurice sort loin devant cette destination que j’ai trouvé au final plutôt décevant.

Qu’en est-il du niveau de service ?

Pour le service et avec toute l’objectivité dont je suis capable je trouve que Maurice est plutôt bien placé. Il existe ici une vraie compréhension de la notion de service. Et même si nous sommes tous d’accord pour dire que la qualité des prestations est globalement en baisse chez nous, pour de multiples raisons, il faut reconnaître que dans beaucoup d’endroits le niveau n’a pas encore atteint celui que nous connaissons ici.

On a souvent l’impression qu’on est un peu nombriliste par rapport à nos atouts. Croyez-vous que nous sommes toujours les champions de l’hospitalité ?

C’est une des caractéristiques encore reconnue sur la plupart de nos marchés émetteurs. Les professionnels et les clientèles reconnaissent à Maurice une certaine chaleur dans l’accueil. Les professionnels ne sont pas seuls responsables de cette perception. La population dans son ensemble joue un rôle important. Se sentir en sécurité dans un pays, pouvoir parler avec les gens facilement, avoir accès à presque tous les lieux sans contraintes particulières, ne pas être soumis à des contrôles voire à une surveillance permanente, participer à un large éventail de fêtes religieuses, tout ceci contribue à forger l’impression positive qu’ont les visiteurs. Je ne le conteste pas et je confirme au passage qu’il fait bon vivre à Maurice en comparaison de tous les pays que j’ai visités.

Quel est votre constat du développement touristique réussi par d’autres pays autrefois connus comme tiers-mondistes ?

On peut appréhender le développement touristique de trois points : financier, intégration environnementale et durable et sociétal et culturel. Certains pays peuvent avoir réussi d’un point de vue et pas d’un autre. Pour être concret on pourrait citer l’ouverture trop rapide de Cuba au tourisme et le développement de comportements mercantiles trop visibles ; on pourrait regretter le développement de Aqua Calientes au pied du Macchu Pichu, qui est une village style station de montagne, érigé trop vite et de façon anarchique avec un impact négatif évident sur la faune et la flore environnante ; on pourrait critiquer la surexploitation de la Baie d’Along où des dizaines de bateaux plus ou moins imposants, brisent par le nombre, la magie et le mysticisme des lieux, on pourrait dénoncer l’altération de la culture tibétaine, pour ne pas dire plus, par une présence visuelle chinoise ostentatoire entre autres.

« L’artisanat est un des volets du tourisme pouvant véhiculer l’histoire, la culture et les valeurs d’une population. Je trouve dommage que l’artisanat ne soit pas plus développé à Maurice»

En même temps, malgré ces erreurs, tous ces pays retirent du tourisme une partie de leurs ressources, ce qui garanti leur développement. Ce n’est nulle part parfait, mais c’est partout utile. C’est ce qui fait dire à certains développeurs que le tourisme est un mal nécessaire. Pour en faire un bien nécessaire il faut que d’autres activités puissent prendre le relais de la croissance et faire de sorte que le tourisme ne soit plus « obligatoire » au développement. Car alors on peut faire des choix en faveur du développement durable, et non plus en fonction de facteurs économique à court terme. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. Et les donneurs de leçon, comme pour la protection de l’environnement, sont souvent ceux qui ont fait dans le passé le plus d’erreurs.

Quelles sont vos observations par rapport aux qualités des infrastructures dans les pays que vous avez visités récemment ?

Encore une fois il est difficile de faire une réponse globale. Les infrastructures d’accueil sont extrêmement variables d’une destination à l’autre. Il y a dans tous les pays des capacités d’accueil pour petits budgets et d’autres pour voyageurs aisés. Mais les infrastructures hôtelières ne sont pas les seuls à déterminer la qualité du tourisme. Les aéroports d’entrée dans le pays, les routes, les musées, entre autres sont aussi des équipements importants qui nuancent l’appréciation du voyageur.

Quels sont les ‘benchmarks’ qui peuvent nous inspirer dans le développement de notre offre touristique ?

J’ai noté certains éléments qui pourraient enrichir notre produit touristique ou étoffer notre économie. J’en citerai trois principaux : Le premier concerne le service rendu dès l’aéroport. Deux choses sont présentes presque partout dés le passage de la douane : la possibilité d’acheter une carte Sim pour communiquer facilement à des coûts locaux, la possibilité de choisir son mode transport pour rejoindre sa destination sans être obliger de choisir le taxi (navette, bus, Uber).

Le deuxième point concerne la valorisation de la culture à travers un grand spectacle qui est presque incontournable. C’est un vrai manque à Maurice. Le spectacle de Lhassa au Tibet est le plus beau spectacle que j’ai vu de ma vie. Une scénographie exceptionnelle, des centaines de figurants, des décors à couper le souffle. C’est pour le coup la plus belle expression qu’il m’ait été donné de voir, d’une partie de l’histoire d’un pays.

Enfin le troisième point est la valorisation du patrimoine architectural. Dans la plupart des pays les vestiges sont fièrement montrés. A Maurice nous négligeons trop les vestiges du passé pas si lointain. Si quelques maisons coloniales ont été restaurées par des privés, les bâtiments coloniaux, les usines désaffectées (et leur cheminées) sont mal entretenus voir laissés à l’abandon. Les principaux bâtiments ne sont pas accessibles aux touristes (palais du gouvernement, casernes…). Il y a un vrai travail à faire car une bonne mise en valeur du patrimoine peut être utile pour la société mauricienne et profitable sur le plan économique.

On constate que les secteurs/sous-secteurs sont en déphasage avec le développement qu’a connu l’industrie principale. (Par exemple, notre artisanat fabriqué à 90 % en Chine comporte des limitations sérieuses et un manque de choix dans l’offre)…

L’artisanat est un des volets du tourisme pouvant véhiculer l’histoire, la culture et les valeurs d’une population. Je trouve dommage que l’artisanat ne soit pas plus développé à Maurice. A ce sujet j’ai été très impressionné par une entreprise solidaire au Vietnam qui donne du travail à des centaines de personnes autrement capables et qui produit une variété de produits de qualité. Au Pérou, ce sont les marchés qui m’ont fasciné. On y trouve des textiles magnifiques, des statues et des objets de décoration typiquement Péruvien à des prix très intéressants. Idem au Tibet, ou les artisans locaux écoulent directement leur production.

« Dans la plupart des pays les vestiges sont fièrement montrés. A Maurice nous négligeons trop les vestiges du passé pas si lointain »

 

Selon vous, quelle serait la meilleure destination au monde pour un voyage de rêve ?

Dans la mesure où nous avons tous des rêves différents je pense qu’il n’y a pas de meilleure destination de rêve. Tout choix est respectable. Je n’ai pas choisis d’aller en Croatie, en équateur ou en nouvelle Calédonie. Et pourtant je suis sur que ce sont de magnifiques destinations qui peuvent faire rêver. Je crois qu’il est donc très important de laisser à chacun ses rêves. Ce qui est exotique pour les européens est notre quotidien. Les insulaires et les asiatique vont préférer les grandes villes comme Montréal, New York, Londres ou Paris. C’est leurs rêves. Ce sont pour eux les meilleures destinations de rêves.

Pour ma part, je rêvais de ces dix destinations. Je les ai faites. Maintenant je rêve de faire une croisière en Asie, de grimper le Kilimandjaro avant de faire un safari dans la réserve Serengetti, de traverser le Canada en camping car et de faire du cabotage dans les Caraïbes. De quoi continuer à voyager encore quelques années ! Mais ma prochaine destination de rêves c’est Rodrigues. J’adore cette île qui présente l’avantage d’être juste à côté. Rêver et voyager ça ne veut pas forcément dire faire un tour du monde…

Dates clés

Né le 28 mai 1966

1989 –  Maitrise de tourisme (IREST)

1990  – Responsable de secteur chez DESERTS (TO)

1991  – Cadre commercial chez THRIFTY (location de voitures)

1992  – Premier tour du monde (sac à dos)

1993  – Première découverte de l’ile Maurice

1994  – Chargé de mission Qualité Tourisme au Comité du Tourisme de la Réunion

1996  – Chef du département tourisme à l’école hôtelière de Maurice (Ebène)

1998  – Directeur de l’école hôtelière de Maurice

2000  – Lancement de IMHOTEP, sa première entreprise de formation

2005  – Directeur du CENTHOR à la Réunion

2006  – Lancement de Intellisenses, sa deuxième entreprise de formation

2009  – Lancement de Vatel Mauritius

2014 – Lancement de Vatel Madagascar

2016  – Lancement de Vatel Rwanda

 

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