La révolution des tailles basses

« Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. » Il faut remonter au 16e siècle pour retrouver l’origine de cette mythique citation de l’humaniste Henri Estienne. Elle sous-entend que la jeunesse ‘peut’ mais ne ‘sait’ pas. Mais est-ce vraiment le cas ? A une époque où on nous sert le mantra ‘jeune’ à toutes les sauces, il est impératif de garder l’esprit à jeun pour analyser les dessous de ce produit ‘miraculeux’, surtout quand il se pose en offre politique nouvelle.

Déjà au 18e siècle, le théologien français Henri Maret affirmait que cette citation n’avait plus de sens car, selon lui, « la junesse sait que tout se paie… » En analysant en toute objectivité la démarche de nos jeunes, avec un intérêt particulier sur l’engagement politique, je dirais sans gêne aucune que nos jeunes, en général, sont dépourvus du ‘savoir’ aussi bien que du ‘pouvoir’.

Malgré le fait d’avoir aujourd’hui un niveau incomparable de jeunes instruits ou formés, jamais le capital intellectuel n’aura été aussi bas et l’inculture aussi florissante. Ne vous fiez surtout pas à ces images projetées en boucle et le brouhaha politique colporté par les médias.

Mon but n’est nullement de vous plonger dans la déprime. Fidèle a mes habitudes, je vous invite à revenir à contre-sens sur tout ce que vous avez lu, vu et entendu. Quoi de mieux que d’observer de près, en cette période électorale, notre marmite politique bouillonnante en se focalisant sur les agissements de nos jeunes dans leurs bulles.

La propagande

En cette période de campagne électorale, les médias nous balancent sans cesse des informations que la grande majorité d’entre nous ne peut vérifier ou contre-vérifier. Avec les rhétoriques des discours populistes se dégage une effervescence qui brouille la recherche de vérités. Cette sous-traitance de la réflexion à certains ‘rapporteurs’ est extrêmement dangereux, dans la mesure où on ne connaît pas les intérêts qui animent les dires et les écrits. Imaginez le journaliste écrivant ou planifiant son article/émission en fumant un joint bien roulé par celui/celle qui va être le sujet des discussions. L’absence d’un regard plus perçant, d’une certaine distanciation et surtout d’une compréhension accentue la propagande des discours politiques qui ont pour seule fondation « je pense, donc je suis ».

Ils sont très peu à réaliser qu’une poignée d’experts quadrillent l’espace médiatique et influencent grandement l’opinion publique. Présentés avec une polyvalence déconcertante, ces experts sont souvent politologues les lundis, sociologues les mercredis, observateurs de la société les samedis et historiens les dimanches. Sans se rendre compte des autres activités de ces experts, les journalistes sont éblouis par des mots complexes et un vocabulaire bien garni. En fait, plus c’est compliqué, plus ça donne l’air d’être sérieux. Pour les journalistes, la capacité des intervenants à meubler leurs émissions importe plus que leur expertise. Cette incapacité à pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie a permis de cultiver une nouvelle génération d’escrocs médiatiques en tous genres. C’est précisément cette presse dépravée qui nous présente aujourd’hui subtilement cette offre politique nouvelle.

Du réchauffé

Le matraquage médiatique focalise l’intérêt uniquement sur l’âge et le profil professionnel de ces jeunes. On n’entrevoit aucun effort à aborder en profondeur des sujets d’intérêt capital, entre autres : la société et ses dysfonctionnements, les repères historiques, les enjeux de pouvoir, la culture, les processus sociaux, les projets collectifs et, surtout, les idéologies. A vrai dire, l’offre proposée n’a rien de nouveau. Les ‘dinosaures’ qu’on veut chasser aujourd’hui sont en fait les jeunes d’hier désormais encombrants. Comment oublier cette effervescence autour du Club des Étudiants Mauriciens en 1969. Ou encore l’arrivée en fanfare de Navin Ramgoolam en 1990. Ravi Yerrigadoo, celui que tout le monde aimait voir ‘karcherisé’, était aussi un de ces jeunes porteurs d’espoir en 2000. Les Rutnah, Gobin, Jaunboccus étaient tout récemment, soit en décembre 2014, les Tania Diolle et les Dan Maraye de leur circonscription.

L’autre argument avancé par la presse, ce besoin d’avoir des professionnels à la tête du pays, nous enlise plus profondément dans le ridicule. Il suffit de constater que notre hémicycle est majoritairement dominé par des légistes, experts-comptables, entrepreneurs et médecins. Des députés tous issus des grandes écoles mais qui se révèlent incapables de comprendre les logiques les plus élémentaires. En quoi les Diolle, Maraye, Badhain et autres Beejadhur sont-ils différents ?

Stérilité sans pareille

En appliquant avec rigueur un doute méthodique, on aperçoit rapidement l’imposture de nos aspirants dirigeants politiques qui, reconnaissons-le, sont passés maîtres dans l’art du néopopulisme. Par exemple, la candidate du Mouvement Patriotique accouchée en urgence par césarienne et présentée comme étant une digne réplique de Cléopâtre (aussi connue comme Théa), est systématiquement décrite comme ‘intelligente’, ‘engagée’ et ‘intègre’. J’aimerais bien avoir tort, mais sans exagération aucune, elle est l’exemple typique de cette fabrication de toutes pièces qu’on regrettera au même titre qu’une certaine Ameenah Gurib-Fakim.

Voyons à quel point elle est ‘intelligente’ et ‘engagée’. Mettons de côté le fait qu’elle n’a pas suffisamment de jugeote pour différencier entre un panneau d’affichage et une cabine de commutateurs téléphoniques. Ou pire, qu’elle découvre en novembre 2017, lors d’un tournoi que son parti a parrainé, que les braves femmes de notre pays savent jouer à la pétanque.

Dans un de ces nombreux débats complaisants, Tania Diolle dit vouloir se démarquer des autres candidats alignés aux élections, dont plusieurs sont issus selon elle de l’extrême-gauche. Une absurdité grotesque venant de la part de quelqu’un qui se dit ‘politologue’, voire une nullité absolue sur la connaissance élémentaire des classifications politiques. Cette même personne dont le leader vénéré, incontesté et incontestable a été un fervent partisan du trotskisme et de la quatrième Internationale. L’apogée de la bêtise de Tania est son idée farfelue à placer des technocrates aux commandes des manettes politiques. Comment elle, si ‘intelligente’ et ‘engagée’, ne peut comprendre que la technocratie qu’elle ambitionne de promouvoir est actuellement un frein notoire à l’exercice démocratique ? Comprenons bien que le projet de Tania Diolle, c’est d’accentuer le pouvoir de ces notables ‘instruits’, les ‘intellectuels’ constitués en élite qui ont toujours eu tendance à se substituer au peuple et influencer nos vies. Vivement, que Dieu nous en garde.

Quant à l’engagement de Tania Diolle en tant que féministe qui se vante d’avoir représenté les intérêts de la femme mauricienne aux Etats-Unis et en Afrique, j’aimerais bien comprendre sa posture lorsqu’une dirigeante de son parti, Karuna Banymandhub, est traitée de « pitin ». Si elle n’a pu prendre la défense d’une femme à l’intérieur de son parti, il faut être sacrément débile pour croire qu’elle pourra défendre celles de sa circonscription ou ailleurs dans le pays. Comme disait Henri Moret « le silence est une opinion ».

Venons-en maintenant à l’intégrité de notre ‘Cléopâtre’. Le journaliste qui a décrit l’affidavit de Tania Diolle comme étant une première aurait mieux fait de lui demander d’où proviennent les millions que son parti dépense dans cette campagne. Avec les débats que le Mouvement Patriotique organise sur le fléau de la drogue, ce serait très embarrassant si on découvrait que la candidate Diolle a directement ou indirectement bénéficié des largesses de la Reine de l’ouest ou de la Marraine de Flic-en-Flac. Pour mieux comprendre la légèreté de la presse et l’autre face de celle qui aspire à gouverner autrement, je vous propose deux extraits d’entretien publiés chez nos confrères où elle explique la raison de sa démission en tant que conseillère de la ville de Quatre-Bornes. 1) Le Mauricien – 16 août 2013 : « C’est avec regret que je soumets ma démission en tant que conseillère de la mairie de Quatre-Bornes, car la loi ne me permet pas d’exercer en même temps en tant que Lecturer à plein temps à l’Université de Maurice. Il n’y a pas beaucoup de débouchés à Maurice dans le domaine des affaires publiques. Et cela est encore plus limité par la Local Government Act 2011, qui ne permet pas aux conseillers d’être rémunérés par des corps parapublics et autres ». 2) l’express – 10 décembre 2017 : « … J’ai démissionné de la municipalité de Quatre-Bornes pour m’occuper de ma mère malade ».

Passons maintenant à l’autre mythomane, le ‘jeune’ Roshi Bhadain. Retranché dans son monde fantasmatique, on diagnose chez lui, la pathologie du narcissisme. Son amour de soi entraîne une errance mentale et de terribles crises d’angoisse affectant au passage un pays tout entier. Malgré les intimidations de toutes parts, on l’a archi-dénoncé depuis 2015 et cela a pris deux longues années pour qu’une grande majorité de ce foutu pays découvre l’imposture de ce personnage qui marquera notre histoire politique d’une pierre noire. Il ment comme il respire, et ses agissements donnent raison aux écrits de la politologue (une vraie) allemande Hannah Arendt, qui a décortiqué la pensée politique et le totalitarisme. Selon Hannah Arendt, « la véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques, et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques ». Cela vous permet de mieux comprendre pourquoi, à chaque sortie, Roshi Bhadain tient à préciser qu’il ne ment pas.

Prenons l’exemple de sa ‘démission’ et la création de son parti. Revenons sur cet épisode occulté délibérément par la presse. Le samedi 21 janvier, SAJ soumet sa démission comme Premier ministre. Le lendemain, lors du bureau politique du MSM, les ‘mams’ s’accordent à l’unisson pour cautionner l’accession du fils au trône. Le lundi 23 janvier, Pravind Jugnauth prête serment en compagnie de ses ministres. Tous sauf un, Roshi Bhadain. Sa première explication donnée sur sa page Facebook se limite à dénoncer la violation des principes de bonne gouvernance. La deuxième, son désaccord sur la façon dont les évènements se sont déroulés et le manque d’égard pour sa personne. La troisième version fait référence à cette conversation intime qu’il a eue avec sa femme à quelques minutes de la prestation de serment quand il décide de claquer la porte. Le 27 janvier 2017, soit quatre jours plus tard, Roshi Bhadain lance le Reform Party en grande pompe à Bagatelle. Cette histoire incroyable aurait pu tenir la route, si quasiment toutes les rédactions n’étaient pas au courant de la formation du Reform Party bien avant le 21 janvier 2017. Lors du briefing matinal tenu le 18 janvier 2017 chez un de nos confrères de la radio, ce sujet avait été évoqué avec des détails très précis. Ils savaient tout : le nom du parti, les couleurs, l’emblème et le slogan. Bizarrement, personne n’a jugé pertinent d’interroger Roshi Bhadain sur les motivations réelles de sa démission. Nul besoin d’étaler ses déboires en tant que ministre car les conséquences de ses actes vont marquer plusieurs générations à venir.

L’autre jeune présenté en ténor, que je qualifierais de véritable bombe à retardement, me fait penser à cette chanson de Tikken Jah Fakoly, ‘Trop de bla bla’. A chaque fois que Danesh Maraye met en exergue ses aptitudes d’expert-comptable, je frissonne en pensant au sort des caisses publiques. Ses logiques incompréhensibles comme dans le cas des grévistes en quête du respect des termes de l’accord conclu avec l’État démontre clairement son côté irrationnel, inhumain et non progressiste. S’inspirant de la campagne d’Emmanuel Macron, il favorise un cocktail composé de slogans et promesses populistes pour les jeunes et des anecdotes nostalgiques pour les vieux. Intervenant à Cité Père Laval, il se targue d’avoir fait fuir Roshi Bhadain et Arvind Boolell lors d’un débat. Il fait vraiment fort, le petit. Toutefois c’est bien lui qui hisse le pavillon blanc lors d’un débat organisé au siège social de la paroisse de Saint-Patrick en invoquant ses soi-disant croyances dans la séparation entre politique et religion. Peut-être est-ce trop tôt pour qu’il comprenne les messages de nature purement politiques des écrits religieux. Les croyances de Danesh Maraye auraient pu me séduire, si seulement il était cohérent dans ses actes et pouvait donner des explications sur sa présence au premier rang lors des célébrations du cinquantième anniversaire de l’Église chrétienne, ou encore ses conversations politiques avec certains dirigeants des temples durant la tenue des prières marquant le jeûne du ‘Govinden’. Ceci dit, j’espère qu’il saura nous prouver ses aptitudes d’expert-comptable quand il devra soumettre les relevés des dépenses encourues pour sa campagne. Je lui consacrerai tout un article bien ficelé s’il vient nous raconter que ses dépenses n’avoisinent que Rs 250 000.

Des paravents

La plupart de ces candidats ne sont que des paravents d’un système qui se remodèle pour pouvoir perdurer. L’exemple parfait de ce que je qualifie de paravent, c’est évidemment la moins jeune Nita Judoo. Bien qu’elle se distingue par sa classe et gentillesse naturelles, elle est l’instrument de son leader qui s’est converti en druide à la recherche de l’élixir pouvant le propulser au pouvoir. Que pourra faire Nita Judoo face au diktat impitoyable de son leader qui cache à peine ses intérêts contraires à ceux du peuple ? Lors de son intervention à La Source, Paul Bérenger disait que l’industrie sucrière était en crise et que la priorité du gouvernement devrait être de la sauver. Une phrase qui a échappée à tous les ‘ journalistes engagés’ présents.

Est-ce que Nita Judoo peut tenir tête à ce forcené et le rappeler que des milliards ont déjà été engloutis par ces oligarques ? Ou lui faire la remarque que sa toute petite signature sur les lois de Sugar Industry Efficiency a permis aux sucriers de tripler en 10 ans la valeur de leurs patrimoines personnels ? Pourrait-elle dire à Paul Berenger qu’il avait tort en menaçant de démissionner en 1996 lorsque le gouvernement d’alors voulait introduire une taxe minable sur les poids lourds des sucriers ? Tort de laisser les barons sucriers contrôler la quasi-totalité de notre économie ? Non ! Non ! Non ! Elle ne peut pas. Ni elle, ni les autres non plus, d’ailleurs. Je vois déjà Paul Bérenger s’automutiler et décrier les attaques contre la pigmentation de sa peau. C’est une honte que tous ces jeunes ‘génies’ au sein du MMM n’arrivent pas à réaliser que le secteur du tourisme, dominé par ces mêmes oligarques, ne peut rapporter que 44 milliards avec 1,2 millions de visiteurs par an. Pas étonnant que Rutnah ait germé sur les bancs du MMM. Quant au slogan « nou la main prop », je demanderai à Nita de vérifier si ses camarades du parti ont payé leurs factures dans les boutiques d’un certain Gooljaury.

Vaincre la vacuité

Malgré la dureté de mes propos, je reconnais que beaucoup de nos jeunes ne sont pas forcément responsables de leur inculture ou totalement coupables de leurs actes. La déception est plus grande car certains d’entre eux avaient initialement démontré des potentiels sur lesquels on pouvait construire. On se rend compte que ces jeunes ne sont que les produits d’un système où ni l’école ni les institutions d’enseignement supérieur n’ont pris en charge la pédagogie, de l’histoire, du développement des idées politiques, leur relation avec la gouvernance et le développement économique.

Ailleurs dans le monde, la faillite des printemps arabes qui aura vu la participation massive des jeunes et des professionnels est la preuve vivante que la révolte ne peut remplacer la révolution et que cette dernière se construit au fil du temps avec le ‘savoir’, le ‘courage’ et l’engagement. Il faut bien comprendre que le ‘savoir’ ne se résume pas à l’instruction. Qu’un commentaire sur les réseaux sociaux ne peut être interprété comme un ‘engagement’. Ou que le courage ne saurait se limiter à signer une pétition. Le discrédit qui affecte aujourd’hui la pratique politique est indéniablement lié au clientélisme affectionné par de fausses élites. Vidés de toutes différences idéologiques, les partis traditionnels ont fini par dénaturer la politique en transformant l’échéance électorale en une véritable orgie, digne des Romains disciples de Bacchus. Nous avons subi un vide intellectuel qui a fini par neutraliser toute forme de réflexion et est la cause principale de cette vacuité politique dont souffre la jeunesse d’aujourd’hui. En absence d’une pédagogie politique, de réflexions de grande portée et d’un apprentissage de la culture de gouvernement, nos jeunes pataugeront pour longtemps encore dans leur révolution de taille basse.

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