Le Cocu, c’est vous !

Sa passion à lui, c’est gratter avec sa plume le vernis qui recouvre ceux qui nous gouvernent. Depuis dix ans, il s’est intéressé à une personnalité politique en particulier, et au cours de cet entretien, il vide son sac. Un sac gros comme celui du Père Noël. Mais, attention ! Lui, il ne fait pas de cadeau.

D’où tenez-vous cette manie de traquer les politiciens ?

D’abord, je tiens à vous rappeler que le gibier, c’est nous, le peuple. Et les prédateurs, ce sont ces dirigeants qui, par leurs actes ou inactions, mettent en péril la survie de notre civilisation. Je suis uniquement en quête de vérité. Tous les courants religieux et livres sacrés nous initient à cette quête. On vit dans un pays où la grande majorité de la population se dit croyante et pratiquante, mais ce même peuple choisit de se voiler la face et se rend complice de cette guerre permanente contre la vérité. Dans notre métier, on utilise la méthode de questionnement empirique 《Qui, quoi, où, quand, comment pourquoi》.Mais pour dénicher la vérité, il faut réfléchir plus profondément sur « le pourquoi du pourquoi ». Et puis, cette curiosité émane peut-être du fait que j’ai choisi de ne pas trop vieillir. C’est ce côté « enfant » qui me pousse à poser des questions. Des vraies questions.

Mais à lire le ton de vos écrits, ou est tenté de croire que vous êtes un enfant colérique

Chez moi, il n’y a jamais eu de vache sacrée. Je m’exprime avec la même dureté pour dénoncer les abus et absurdités. L’hypocrisie collective me rend cynique et je réponds à l’insouciance par le sarcasme. Je ne suis pas doué pour m’exprimer autrement. Surtout quand le message que je porte vient d’un peuple qui a peur, qui a faim et qui souffre.

Vous êtes l’auteur de plusieurs articles très critiques à l’égard de Pravind Jugnauth. Pourquoi lui ?

L’intérêt pour Pravind Jugnauth m’est venu en 2012, lors d’une rencontre à son bureau dans le cadre d’un entretien. Juste avant de partir, je lui balance le fond de ma pensée : que son partenaire du jour, le MMM, se ralliera au PTr lors des prochaines législatives. Il m’a serré la main et m’a dit : « Ils pensent tous que je suis un naïf ». Le regard était froid, le ton sarcastique et c’était tout le contraire de l’homme à qui j’avais parlé pendant plus d’une heure. En marchant tout le long de la rue Mère Barthelemy pour regagner mon bureau, cette image ne cessait de défilait dans ma tête. Je savais que l’humain est de nature schizophrène et que c’était plus prononcé chez les politiciens, mais il y avait quelque chose de particulier chez celui-là. Cela m’a pris du temps pour réaliser que, pendant ces quelques secondes qu’il avait abandonné son revêtement furtif, j’ai pu entrevoir le vrai personnage. Il me fallait en savoir plus, et à partir de là, il était impératif pour moi de partager cette autre version que nul n’oserait publier. Quant à ce que vous qualifiez de « critique », je ne fais qu’interpréter et réagir en conséquence.

Mais curieux comme on vous connait, vous deviez savoir bien des choses avant cette rencontre ?

Au cours des vingt dernières années, j’ai beaucoup lu et entendu sur Pravind Jugnauth. Chez Mauritius Telecom (MT), plusieurs de mes anciens collègues étaient très fiers des photos prises lors de son mariage avec Kobita, la fille du Chairman de l’époque, Sir Kailash Ramdanee. Les hauts cadres de MT s’étaient convertis pour l’occasion en « Bawarchi » et « Katchu Manager ». On me racontait aussi comment les véhicules de la compagnie avaient été camouflés pour ne pas éveiller la curiosité des médias. L’hebdomadaire « Le Mag » avait révélé comment Air Mauritius avait encouru les frais de shopping en Asie dans le cadre de ce fameux mariage. Il y avait aussi les affaires que représentait Pravind Jugnauth en tant que conseiller légal. Et là il y’a beaucoup plus que l’histoire de la défunte Delphis Bank. Avec ce que j’ai vu de l’arbre généalogique, je peux vous affirmer que les Jugnauth font partie des grands et n’ont absolument rien à envier aux Trabelsi, Pinochet, Ceausescu, Taylor, Marcos et Mubarak.

Cette « traque » se passe comment ?

Il faut être très attentif à ses faits et gestes. Il faut analyser ses discours, surtout les spontanés, étudier l’évolution de son langage corporel, observer ses tics et névroses et enquêter sur ce qui peut l’influencer. Pour cerner le personnage, il faut se pencher sur son passé, s’informer sur ses grands moments et comprendre ses schémas. Cette étape ne peut être réussie qu’en rencontrant les gens qu’il a côtoyés. Il faut aussi faire preuve de rigueur, de discernement, afin de réduire la marge d’erreur. Au cours de ces dix dernières années, j’ai rencontré une trentaine de personnes qui m’ont éclairé. Certaines d’entre elles ne sont plus de ce monde. Il y a aussi le hasard. Plusieurs enquêtes qu’on a menées chez Capital ont fini par buter sur Pravind Jugnauth. On le croise même dans l’affaire St Louis.

 

Le motif du désaccord entre Pravind Jugnauth et Ivan Collendavelloo

L’affaire Saint-Louis ? Vous y allez un peu fort non ?

Je maintiens absolument tout ce que j’ai écrit sur l’affaire Saint-Louis. On a mis fin au projet CT Power non sur des arguments écologiques ou sur la base d’intérêt public. Ils l’ont fait uniquement pour donner vie à la deuxième phase du projet de St louis. La raison pour laquelle je persiste à dire que l’ensemble des membres du Cabinet ayant participé à la prise des décisions en janvier et février 2015 doivent être entendus par les enquêteurs. Pourquoi enquêter sur des fuites d’informations, si le projet avait été taillé sur mesure pour la Burmeister and Wain Scandinavian Contractor (BWSC) ? Pourquoi ne pas s’intéresser aux procès-verbaux des réunions du conseil d’administration ? Il n’y a aucun doute que la BWSC était l’abreuvoir des politiciens. Aucun doute non plus, sur le rôle des sociétés intermédiaires. Mais l’affaire Saint-Louis cache bien des choses. Dans l’euphorie de cette deuxième phase annoncée, Ivan Collendavelloo voulait enchainer avec un autre projet. Celui d’une centrale à gaz, d’une capacité de 120 MW à Fort George, au coût de 6 milliards. Avec les bruits autour d’une commission avoisinant les 600 millions, c’est ce projet qui va provoquer une guerre larvée au sommet du gouvernement, et par ricochet au sein du conseil d’administration du CEB. Début 2019, alors que le CEB décide de trouver les fonds et les partenaires nécessaires pour réaliser ce projet, le ministre des Finances décide de changer son représentant sur le conseil d’administration. C’est ainsi que l’adjoint de Dev Manraj, Visvanaden Soondram, remplace Sadhna Appanah. Dès sa première participation au conseil, Soondram donne les directives pour mettre un terme aux démarches du CEB dans le cadre du projet Fort George. Durant cette séance, le représentant du ministère des Finances établit le contact avec la société indienne Petronet, qu’il présente comme l’entreprise désignée par le gouvernement pour réaliser le projet. Il annonce aussi que le financement se fera par l’EXIM Bank of India. D’ailleurs, les médias indiens ainsi que les publications spécialisées avaient annoncé ce partenariat. Cela, alors même qu’il n’y avait aucun document attestant des discussions au Conseil des ministres ou d’accord bilatéral. Un ancien directeur général du CEB avait aussi été mandaté par le ministère des Finances pour travailler sur ce projet. Posez-vous la question : Qui pouvait décider de la nomination de Soondram et discuter avec le gouvernement de Modi ? Qui était le ministre des Finances en 2018 – 2019 ? Retenez bien ce nom : Petronet.

 Quel a été, selon vous, l’événement majeur dans la vie de Pravind Jugnauth ?

Quasiment l’ensemble de mes interlocuteurs pensent que c’est son mariage. Pour eux, c’était une union stratégique comme il était coutume dans la haute société hindoue, entre SAJ et Sir Kailash Ramdanee. Mais moi, j’ai une tout autre lecture. Je suis persuadé que l’évènement qui a marqué Pravind Jugnauth, c’est sa défaite lors des législatives de 2005. Je pense qu’il arrive difficilement à pardonner les électeurs de la circonscription No 11. Il s’est reconstruit et a planifié minutieusement son retour en faisant de la circonscription Moka / Quartier-Militaire son bastion, une forteresse qu’il veut inébranlable. Pour reprendre Oliver Goldsmith « He stooped to conquer ». Au point de brandir le drapeau du PTr aux partielles de 2009 et de se positionner au sixième rang de l’Alliance Lepep. Il s’est soumis aux caprices de ses alliés afin de se retrouver sur le trône. La défaite de 2005 lui a aussi appris à être méticuleux dans ses calculs et ne pas se fier au hasard. Au lendemain de la victoire inattendue de 2014, il s’est fixé pour unique mission de s’accrocher au pouvoir. Pour y arriver, il pactise avec tout.

Tant d’éloges venant de vous, c’est quand même surprenant ?

Comme le dit si bien William Shakespeare dans la pièce Henry V « Give the devil his due » . L’erreur principale des adversaires de Pravind Jugnauth, c’est justement de fausser leurs constats. De ce fait, l’analyse ne peut être objective et les stratégies qui en découlent, vouées à l’échec. Beaucoup le considèrent comme médiocre, même minable. En tant qu’homme d’Etat, sa performance est absolument burlesque, voir caricaturale. Mais on ne peut nier l’efficacité de ses stratégies ainsi que les réussites de son parti et de sa tribu.

On dit qu’il ne laisse jamais tomber ses amis…

Des amis, il en a très peu. N’oublions pas que c’est un Jugnauth ! Il est le seul qui compte. Les autres acteurs sur l’échiquier sont dispensables. Des compagnons de transit dont la date de péremption dépend de leur utilité. Parmi les témoignages que j’ai reçus, il y a celui du regretté Lobin Unmole, ancien directeur général de la DBM. Quelqu’un qui, par sa performance, se distingue facilement des autres nominés MSM. Il vouait une admiration particulière à Pravind Jugnauth, et pourtant il avait été contraint de partir. Comme tant d’autres, il ne pouvait croire que c’est ce même Jugnauth qui avait orchestré le traitement qu’il avait subi. Pour lui, c’était « l’entourage » le responsable. Effectivement, durant les semaines précédant sa mise à pied, il avait froissé deux super conseillers. Le premier cas concerne un refus catégorique de favoriser un ami du conseiller, opérant dans le secteur des panneaux photovoltaïques, dont la société n’avait même pas participé à l’exercice d’appel d’offre. Le deuxième péché d’Unmole aurait été de n’avoir pas obéi à cette dame qui voulait qu’il efface les ardoises du conglomérat de ses beaux-parents. Après maintes tentatives, il avait réussi à obtenir audience auprès de Pravind Jugnauth qui lui portera ironiquement le coup de grâce en l’accusant de favoriser les partisans adverses. A quelques jours de sa mort, Unmole me confiât que la seule chose dont il était coupable, c’était d’avoir agi en tant que professionnel. Je me souviens encore de cette phrase  « Après tout, qui sont les partisans du MSM d’aujourd’hui ? Ce sont les partisans de l’opposition d’hier et du gouvernement de demain ». Sa mort est certes accidentelle, mais le fait est, qu’il en savait beaucoup sur l’écosystème des sociétés offshore mise en place pour faciliter les transferts de fonds. Particulièrement la société « CH » qui évolue dans quasiment tous les paradis fiscaux du monde et dont le directeur jouit de la confiance absolue du maitre de l’échiquier.

Vous arrive-t-il de vous tromper dans vos constats et analyses ?

Comme dirai Cicéron « Errare humanum est », l’erreur est humaine et je ne suis qu’un mortel. Pour mener à bien une enquête il faut avoir suffisamment de recul. En plus de la rigueur et des informations, il faut pouvoir allier passion et maîtrise émotionnelle. En 2019, alors qu’on cherchait des éléments d’informations pour un regroupement africain de lanceurs d’alerte qui enquêtait sur les activités de certaines sociétés offshore, une source attire mon attention sur le rôle d’un personnage qui venait d’être recruté à la FSC. C’était un ami et quelqu’un avec qui j’ai des liens de parenté. Quelqu’un aux origines très modestes, qui a gravi les échelons à la force de son travail et qui était très respecté de tous. Néanmoins, j’ai été très dur envers lui. Au-delà des réponses qu’il m’avait envoyées, il m’aiguillait sur des pistes qu’en temps normal j’aurai rigoureusement analysées. Mais l’excès de zèle m’aveuglait à un point où je ne pouvais rien entrevoir. Le pire est que cet ami vivait des moments extrêmement difficiles. Son travail était devenu cauchemardesque et les contradictions se multipliaient au quotidien. Il était pris en tenaille entre ses valeurs et des intérêts obscurs qu’on l’obligeait à servir. Les fuites d’informations à son égard faisaient partie d’une machination visant à se débarrasser de lui à la FSC. J’étais tombé dans le piège et au lieu de l’aider j’ai rajouté à sa peine. Notre dernier échange remonte au 14 septembre 2019, soit quelques jours avant qu’il ne succombe à un infarctus. Le regret de n’avoir pu l’aider dans sa peine ou encore lui présenter des excuses, est une croix pesante que je devrais porter à vie. Repose en paix Deven Coopoosamy.

Qu’en est-il des fabulateurs ?

Il faut toujours s’attarder sur les motivations du laceur d’alerte ou de la source. Souvent, on butte sur des intérêts personnels, des règlements de compte, la jalousie ou des pièges. Il y a aussi ceux qui, sur un coup de tête, décident de franchir le pas pour ensuite reculer par frayeur. Je me souviens qu’au mois de juin 2020, un entrepreneur dans le secteur des BTP demande à me rencontrer et dit vouloir dénoncer un homme d’affaires ainsi qu’une haute personnalité politique. Je l’écoute pendant des heures et il me déballe comment il avait introduit un dénommé Gopee à La Caverne. Il m’explique qu’il y avait une entente entre lui et ce Gopee sur le partage des contrats et que cette entente n’avait pas été respectée. D’où son souhait de se mettre à table. Je lui fais comprendre que seul l’intérêt public m’intéresse et qu’il devra aller jusqu’au bout dans ses dénonciations, car il ne s’agissait pas pour moi de simplement publier un article. L’homme s’accorde un temps de réflexion et survient alors la mort de Soopramanien Kistnen dont le corps est retrouvé non loin de chez ce fameux entrepreneur. L’homme s’efface complètement, rentre dans les rangs et joue un rôle important lors des élections villageoises aux cotés de cette haute personnalité politique qu’il voulait dénoncer.

Dans un article publié en 2015, vous décrivez l’homme d’affaires Rakesh Gooljaury comme étant le cheval de Troie de Pravind Jugnauth. Expliquez- vous…

Les actions de Pravind Jugnauth sont très sournoises et difficiles à déceler. Ce qu’il a accompli par l’entremise de Gooljaury est un coup de maître. Loin d’être un traître, Il a été le plus loyal des lieutenants, le plus courageux des soldats du MSM et de Jugnauth. C’est en 2003, à l’accession de celui-ci au poste de ministre des Finances que Gooljaury commence à connaître un franc succès, cela grâce au soutien des banques d’Etat. En 2005, à l’aube de la victoire de l’Alliance sociale, il s’infiltre dans le giron de Navin Ramgoolam par l’entremise de son grand ami Arvind Boolell. En 2009, il est l’un des architectes de l’alliance PTr / MSM. Le jackpot viendra avec l’entrée en scène de Nandanee Soornack, qu’il va nous servir à toutes les sauces. Vous croyez vraiment que Soornack est capable de faire un montage comme FRYDU ? Pour en revenir au rôle de Gooljaury, quasiment l’ensemble des membres de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire lui portent allégeance. Mise à part quelques quolibets complaisants, avez-vous entendu les membres de l’opposition critiquer de vive voix Gooljaury ? Pourquoi Le bouillonnant Roshi Badhain et les Avengers se taisent sur son rôle et surtout la menace qu’il représente ? Pourquoi Nando Bodha, qui se remet de son l’hyménoplastie politique, n’aborde jamais le rôle de Gooljaury ? La vérité est qu’il mène la plupart des politiciens, banquiers, journalistes et chefs d’organismes publics à la baguette et surtout par la braguette. Gooljaury mérite un Oscar pour le rôle qu’il a joué de 2005 à 2014. D’ailleurs, sept ans après, tout le monde croit toujours qu’il a été un proche de Ramgoolam. Pourtant, il suffit de voir son ascension depuis 2015. Comme dirait Paul Raymond Bérenger il est « plus fort que jamais ».

Où en est l’affaire de rétrocommissions sur les ventes hors taxes, révélée par Capital ?

Savez-vous que cette histoire de rétrocommissions date d’avant la venue au pouvoir de l’Alliance sociale ? Savez-vous qui était le représentant de la société Heinemann à l’ile Maurice ? Est-ce que le nom Alan Govinden vous dit quelque chose ? Posez- vous la question; pourquoi sept ans après l’éclatement spectaculaire du scandale DUFRY – FRYDU, sept ans après la plainte déposée conjointement par Rama Valayden et Yatin Varma suite aux affidavits de Thomas Axel Michel Galet et Simo Carevic, rien n’a été fait dans cette affaire ? J’espère que les lecteurs se souviennent du projet phare que voulait concrétiser Pravind Jugnauth en 2003 – 2005. Il était si convaincu du bien fondé et des bénéfices de ce projet, et je trouve bizarre que depuis sept ans qu’il est au pouvoir, il n’a jamais prononcé les mots « Duty Free Island ». Bien plus étrange encore, c’est l’intérêt que porte Jugnauth à l’industrie cinématographique alors que, par pur hasard, un « certain » Alan Govinden lance son entreprise AMG International Films. L’affaire des rétrocommissions est la preuve indéniable du pourrissement de notre classe politique, la complicité des institutions et l’ineptie de ce peuple.

 Quelle est la chose la plus invraisemblable qu’on a pu vous raconter à propos de Pravind Jugnauth ?

Il faudra des mois pour répondre à cette question. Mais quelques histoires ont retenu mon attention. En 2019, je rencontre un homme d’affaires et bailleur de fonds de l’Alliance lepep. Il me relate comment en 2015, quelque jours après l’expropriation de la BAI, il reçoit un coup de fil de Pravind Jugnauth qui lui demande de passer le voir. Ils se rencontrent dans une maison à Ebène en présence d’un certain Rakesh Gooljaury. Selon le récit de l’homme d’affaires, Jugnauth lui aurait demandé de s’arranger pour que Gooljaury obtienne un prêt de 1 millions d’euros afin de le dépanner dans ses affaires. L’homme qui rencontrait Gooljaury pour la toute première fois, n’était pas à l’aise avec cette demande. Mais face à l’insistance de Jugnauth, qui lui annonce la création par le gouvernement d’une banque qui allait concéder un prêt conséquent à Gooljaury, il finit par accepter un prêt de Rs 10 millions à ce dernier. Selon ce personnage, les mois passèrent et il n’y eut aucun signe de remboursement. Gooljaury lui jouait des tours et Jugnauth feignait de ne rien savoir.

Comment vérifier toute cette histoire ?

Certes ce n’est pas évident, mais certains éléments de cette histoire sont vérifiables. D’abord, le lieu de rencontre à Ebène existe bel et bien. Quelques semaines après la date mentionnée par l’homme d’affaires, il y a eu la création de la Maubank. Le prêt a été fait par virement bancaire et l’homme d’affaires a fini par obtenir une partie de son argent en reprenant certains enseignes appartenant à Gooljaury. Plusieurs de ses anciens collaborateurs confirment la proximité de ce dernier avec Jugnauth, qu’il surnomme d’ailleurs « Boss ».

 C’est quand même difficile de croire que Jugnauth puisse être mêlé à ce genre de combines ?

C’est pourquoi, en l’absence d’une certitude absolue, j’ai choisi de ne rien publier. Mais j’avoue que cela me chatouille beaucoup. Surtout qu’avec l’affaire Kistnen, Ebène commence à ressembler bizarrement à « la Croix-de-Maufras ». Pravind Jugnauth a une de ces têtes à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. N’empêche, il y a d’innombrables interrogations. Posez-vous la question; Qui a le pouvoir de convoquer le conseil d’administration de la FSC un samedi matin, nommer des nouveaux directeurs en faisant fi des règles de bonne gouvernance et accorder lors de cette séance les permis d’opérations des sociétés appartenant au très controversé Alvaro Sobrinho ? Dans cette même affaire, qui peut se permettre de donner des directives à Ken Poonoosamy ? Certainement pas Ivan Collendavelloo.

Les critiques de l’opposition sont davantage dirigées vers son entourage ?

Il faut cesser de prendre Pravind Jugnauth pour un bambin maladroit. C’est lui et uniquement lui qui décide de son entourage. Il n’y a jamais eu de « Kwisine ». D’ailleurs, cette histoire lancée par Joe Lesjongard puis reprise par Badhain a attiré de la sympathie pour Pravind Jugnauth. Le clan des affaires existe bel et bien, mais ne s’ingère pas dans l’élaboration des stratégies politiques. Il existe un cercle très hermétique qui n’est pas visible à tout le monde.

Personnellement vous pensez quoi de Pravind Jugnauth ?

Quand il tient son discours sur ses combats sans relâche contre la corruption, le népotisme, la criminalité et la drogue, j’ai le sentiment que c’est comme l’hommage du vice à la vertu. Mais qu’on l’aime ou non, il faut l’avouer; le bougre a un talent fou. Ce n’est pas donné à tout le monde cette capacité de se faufiler hors des situations extrêmement embarrassantes. Sa façon de faire le vide quand il ne peut répondre aux questions est absolument fascinante. Il est tel un poisson rouge dans un bocal qui fait le mort pour tromper le chat. On a tort de le ridiculiser à ce point et le traiter de tous les noms. Le cocu c’est vous, le peuple. La froideur avec laquelle il a réagi après la mort de son meilleur agent, Soopramanien Kistnen, le traitement réservé au couple Ramnarain, sa proximité avec des gens des milieux obscurs et beaucoup d’autres éléments le rapprochent plus vers le mal que la maladresse.

Vous le voyez comment en tant que politicien ?

Comme tous les autres de sa génération, il souffre de l’inculture et ce côté pouvoiriste le mène à pactiser avec tout ce qui peut lui permettre de s’accrocher à son siège. Contrairement aux autres, il fait preuve de patience et possède le sens de l’écoute. Mais dans les circonstances que nous connaissons, il cravache un tigre féroce, blessé et affamé. S’il tombe, il se fera déchiqueter. En termes d’idéologie, je dirai que Pravind Jugnauth n’est ni de gauche, ni de droite, encore moins du centre. Il est beaucoup plus « du milieu ». Les propos tenus à Saint-Pierre le dimanche 20 décembre 2020 , lors de la célébration marquant les 100 ans de l’Arya Samaj, où il déclara ironiquement « Mo mem ki a la tête mafia » résonne en moi comme un rare moment de vérité.

Comment le jaugez-vous par rapport à Ramgoolam et Bérenger ?

En sus d’être impitoyable, Pravind Jugnauth dispose d’un avantage sur les deux autres. Du fait que le MSM est une entreprise familiale, son leadership n’est nullement contesté et contestable. Il s’est offert le MMM en pièces détachées et on aurait tort de résumer ces assauts répétitifs au pouvoir de l’argent ou du proxénète de la rue Ibis. Il n’y a qu’à comparer leurs comportements à l’Assemblée nationale pour comprendre les différences qui existent entre ces trois protagonistes.  Se croyant éminemment supérieur, Bérenger a toujours douté de la compétence de ses ministres, leur déléguant rarement l’entière responsabilité des taches. De ce fait, il s’ingèrait dans tous les dossiers. Ce manque de respect à leur égard a été un élément important dans la défection de certains de ses plus fidèles lieutenants. Navin Ramgoolam est, quant à lui, méfiant de nature et s’amusait à contrôler ses troupes en encourageant les backbenchers à bombarder ses ministres. Il était le commanditaire des questions les plus embarrassantes à l’encontre des nominés à la tête des institutions. C’était sa façon à lui de maintenir les rapports de force à l’intérieur de son parti. Quant à Pravind Jugnauth, tout est mis en œuvre pour le protéger, le défendre et le glorifier. C’est burlesque lorsqu’il lit dans ses papiers pour répondre aux questions impromptues des Doolub, Subashnee et Dhunoo. La partialité du Président de la chambre est sans précédent. Ceux qui pensent déloger Sooroojdev Phokheer à coup de manifestations symboliques, doivent revoir leur copie. Car l’homme est un élément clé dans la constellation de Pravind Jugnauth.

Et qu’en est-il de votre croisade contre la franc-maçonnerie ?

Le terme croisade est un raccourci facile. L’appartenance à une confrérie ou la pratique d’une croyance religieuse relève du domaine privé. Cela ne devrait aucunement nous concerner, sauf si les agissements qui y sont liés empiètent sur le domaine public et mettent en péril nos valeurs ainsi que notre existence. Quand je dénonce les dérives de certains francs-maçons, l’intention n’est pas de s’attaquer à la franc-maçonnerie. S’il est normal de dénoncer l’emprise des associations socioculturelles ou autres lobbies sur le pouvoir, pourquoi lorsqu’il s’agit des maçons ce serait un sacrilège ?

Justement, quel que soit le crime commis, ne faut-il pas les dénoncer en tant qu’individus et non par rapport à leur appartenance à la fraternité ?

C’est comme si vous vouliez que je dénonce les massacres perpétrés durant les huit croisades sanglantes, sans faire allusion au pape, aux monarques ainsi qu’à leur vision tordue de la chrétienté. Soyons honnêtes ! A Maurice, la franc-maçonnerie a façonné notre histoire. Elle est omniprésente. Dans ses ouvrages, la journaliste Sophie Coignard décrit l’intervention des francs-maçons en tant qu’organisation dans les affaires publiques françaises comme l’existence réelle d’un « État dans l’État ». Chez nous c’est pire ! Je dirais sans ambiguïté que l’État, c’est eux. Au cours des années, Ils ont constitué une nomenklatura impressionnante. Non seulement, on les retrouve sur chaque pallier de l’Etat, mais aussi dans le privé, les ONG, les médias et, évidemment, les partis politiques. A l’aube du 19eme siècle, dans un de ses discours, Henry Charles Descroizilles, un illustre franc-maçon disait; « Je n’ai nulle part trouvé contre nous un atome de mal qu’on puisse nous reprocher avec raison ». Eh bien,  en 2022, je pourrais dresser une liste interminable de crimes et de conneries qu’on pourrait reprocher avec raison aux francs-maçons.

Sont-ils si puissants et incompétents que ça ?

Vous ne pouvez imaginer l’emprise des francs-maçons sur le pouvoir. Ils sont partout : Bureau du Premier ministre (PMO), Parlement, bureau du procureur, magistrature, State Law Office (SLO), Casernes centrales. Ils sont à la tête du port, de l’aéroport, des banques, des organisations régulatrices, des compagnies d’Etat, chez  l’Economic Development Board, ils sont des centaines. Ils ont fait de la cité, leur temple. On les retrouve dans tout le corps diplomatique et même chez Transparency International. Je mets une emphase particulière sur l’ensemble de notre système de justice car, tout comme Jack Straw (ministre de la Justice de Grande-Bretagne en 1998), je dénonce l’incompatibilité des serments. Je vous rappelle qu’en 2010, le procureur français Eric de Montgolfier avait fait une proposition sur le dévoilement de l’appartenance maçonnique, pour les juges ainsi que l’ensemble des fonctionnaires. Au cours de ces dernières années, plusieurs d’entre eux ont fait face à des procès. Donnez-moi le nom d’un seul qui ait fait face à une condamnation à la prison ? À un moment où l’intégrité de notre judiciaire ne fait pas l’unanimité, un peu de lumière sur la différence entre le maillet de la loi et celui de la loge, n’est pas de trop.

 On pourrait vous reprocher de mélanger torchons et serviettes ?

Joseph de Maistre, un des grand orateurs de la franc-maçonnerie, fondateur de la loge écossaise « La Sincérité », a dans son « Mémoire au duc de Brunswick », écrit  « Si nous allons encore adopter un gouvernement qui nous cantonne chacun chez soi, tous les francs-maçons ne seront qu’un tas de sable sans chaux et dépourvus de toute conscience, il y aura des maçons et point d’ordre maçonnique ». Malgré l’emprise qu’a exercé la maçonnerie sur le pouvoir, au cours de ces derniers siècles, le constat d’aujourd’hui est accablant : les maçons, dans leur grande majorité, sont précisément un tas de sable sans chaux, et dépourvus de conscience. Certaines loges pratiquent un prosélytisme quasi religieux. Les maçons en ont fait une affaire lucrative avec des essaimages ressemblant à des franchises de kebab. Délaissant la quête perpétuelle de vérité et de justice, ils pervertissent le système, influencent les décisions et pourrissent le pays. Le népotisme et le copinage ne sont pas que politiques. Quant à votre question sur la compétence, si les Joomye, Chaumière, Gobin, Bodha, Teeluck, Ganoo, Arian, Donat sont des lumières, vous devez certainement être le soleil. C’est indéniable que la médiocrité des francs-maçons a fait reculer la république.

Comment réagissent les autres membres de la fraternité ?

A force de cautionner des irrégularités en tous genres depuis le 18ème siècle, ils sont aujourd’hui incapables de s’en sortir. Parfois, ça arrive qu’ils s’entredéchirent. Alors que certains maçons participent à la mise en place de lois liberticides, il y a d’autres qui manifestent dans les rues, dénoncent par l’écriture dans les colonnes du journal Le Mauricien ou des entretiens chez notre confrère Week-End. Ils étaient présents le 11 Juillet, le 29 août et le 12 septembre 2020. Il y a aussi ceux qui persistent dans leurs démarches à pratiquer l’entrisme chez les partis politiques. Le MMM en a fait les frais, même si plusieurs gravitent toujours autour de Bérenger. Chez le PTr avec les Ramgoolam, Boolell, Jhuboo et les centaines d’autres, ce n’est pas mieux. Il y a aussi ceux qui ont tenté de prendre le pouvoir en construisant l’alternance comme le parti ENSAM, qui a été de courte durée. C’est précisément l’éclatement de ce parti qui a occasionné le ralliement, en 2014, de plusieurs dissidents au MSM.

Le premier franc-maçon que j’ai croisé était Sir Harold Walter, un ami de mon grand-père maternel. J’avais à peine 10 ans et j’étais impressionné par l’éloquence et la culture de ce gentleman. Un hors-série à l’époque qui, de par les normes d’aujourd’hui, serait une anomalie. De nos jours, pour faire partie de l’élite, il vous suffit d’être diplômé, être membre du Rotary, jouer au golf et porter le tablier. Jamais au grand jamais la terre n’a connu une telle pauvreté intellectuelle, une médiocrité sans pareil. Mais cette médiocrité et ce pourrissement ne se limitent pas uniquement à l’élite ou la maçonnerie. C’est un phénomène planétaire qui touche l’humanité toute entière. C’est vraiment dommage qu’on peine à comprendre que ce sont les hommes qui produisent des livres sacrés, des constitutions et non l’inverse. Tous ces écrits sont des pierres angulaires qui nous aiguillent vers l’infini et non une finalité en soi.

Quel a été l’impact de la pandémie sur l’économie ?

Je persiste à dire que le pays était en banqueroute bien avant l’arrivée de la pandémie. Aujourd’hui on veut nous faire gober que c’est grâce au Covid que nous nous sommes retrouvés blacklisté par les diverses institutions financières internationales. C’est le covid qui a commandé le surplus d’avions chez Air Mauritius ? C’est le covid qui a octroyé le permis d’opération à Alvaro Sobriho ? Ou encore Soopramaien Kistnen et Pravin Kanakiah sont mort du covid ? On n’arrivera pas à sauver quoi que ce soit en se plongeant dans le déni. La pandémie nous offre la possibilité de reconstruire sur des bases nouvelles. Mais encore faut-il avoir la sagesse pour en tirer des leçons du passé. Face à « l’aléa moral » le gouvernement choisit systématiquement de sauver les actionnaires des banques. Les mêmes qui possèdent les terres, les Hotels et les mêmes dont les enseignes ont quadruplé leurs chiffres d’affaires au cours des 20 derniers mois.  Les mêmes à qui le gouvernement va bientôt offrir des milliards pour passer au vert leurs centrales thermiques. Choisir de dépenser des milliards pour sauver un système économique dépassé, c’est comme mettre un cadavre sous perfusion. Le véritable drame c’est que, malgré les leçons de la pandémie, on n’a toujours rien compris au sens de la vie humaine. On est devenu des nègres de la croissance, obsédé par le profit et dont les actions ne cessent  de produire des inégalités et des catastrophes écologiques.

Quel sont les conséquences de ces inégalités ?

Les inégalités entraînent l’appauvrissement. Cela fait presque dix ans depuis qu’on tire la sonnette d’alarme par le biais d’articles ou  d’interventions sur la paupérisation de la classe moyenne. On se tue à dire que la classe moyenne joue un rôle économique et social déterminant, puisqu’elle représente le moteur de croissance, dans tous les pays, partant des plus grands comme la Chine ou l’Inde et surtout en Afrique. Avec la précarité qui est devenue partie intégrante dans le mécanisme de l’emploi, la classe moyenne se retrouve sous une pression permanente. Avec une favorisation à outrance des Contrats à Durée Déterminée (CDD) et le transfert directe des menaces sur l’entreprise vers les employés, on assiste à une dégradation constante des conditions d’emploi et c’est ce qui, au passage, occasionne une réduction des marges de manœuvre et les degrés de liberté offerts aux ménages. Avec cette réduction silencieuse et sournoise c’est l’espace vital qui se rétrécit. Les raisons essentielles sont, l’importance de l’Engagement, la Réflexion et l’Agissement. Demain c’est aujourd’hui.

Pourtant à entendre Pravind Jugnauth et ses ministres, le gouvernement a déboursé plusieurs milliards pour venir en aide à l’ensemble de la population .

La question est de savoir, qui en sont les ultimes bénéficiaires. Même durant les crises qu’il a occasionné ou durant la récente pandémie , le capitalisme   trouve moyen d’imposer des sacrifices, pour son plus grand profit. Dans une configuration où les rapports de forces sont basés, non pas, sur le nombre mais sur l’influence des élites économiques, la classe moyenne est celle qui prend en charge l’essentiel des sacrifices. Je n’ai jamais compris cette théorie que pour aider les pauvres il faut donner aux riches. Depuis les jours de Charles Alexandre de Calonne, cela a été ainsi.

A voir la réaction ou plutôt l’absence de réaction, on croirait que tout va bien chez la classe moyenne ?

La population dans son ensemble est prise en tenaille entre son aspiration à la modernité urbaine et l’individualisme.  Notre classe moyenne a succombé aux charmes des vastes projets immobiliers qui sont en fait une ghettoïsation et donne cette fausse perception de haute bourgeoisie. Dans la majorité des cas, ce besoin de rehaussement est poussé par l’individualisme qui a pour conséquence une désolidarisation de la classe moyenne. D’où des changements structurels de comportements, comme par exemple, le besoin d’entretenir un réseau autour d’actions sociales, religieuses, philanthropiques ou confrériques. Cette obsession de se faire accepter par ce nouvel environnement provoque une dislocation profonde au sein de la classe moyenne. Loin de l’objectif de départ d’émancipation, l’individu se retrouve égaré, surendetté et enclavé dans un système oppressant. Le calvaire des employés de chez Air Mauritius en est la preuve de cette émancipation illusoire. Au nom de l’emploi, on choisit de se taire. Ils sont nombreux à croire que le silence et la soumission leurs permettront de rester au chaud.  Demandez à ces employés de Air Mauritius, ceux et celles qui se sont toujours soumis au bon vouloir du pouvoir. A force de courber, ils n’ont pas vu le ciel venir s’abattre sur eux.   Le réveil brutal de notre classe moyenne se fera le jour où on constatera qu’on ne peut plus rembourser le prêt sa maison, payé les assurances maladies et que le paiement des pensions de notre population vieillissante ne pourra plus être honoré. Peut-être qu’on réalisera enfin qu’entre rêve et illusion, il y a la réalité.

Quels sont les risques que nous encourons ?

Le citoyen compétent  et honnête se heurte à ce plafond en verre omniprésent dans une économie oligarchisée et un État otage de considérations absurdes. À défaut de ne pouvoir jouir d’une méritocratie vivante et dans un pays où les perspectives se rétrécissent, les jeunes affichent ouvertement leur envie de partir vers d’autres horizons. Cela alors que le pays fait face à l’épineux problème du vieillissement de sa population active et que sa classe moyenne, éprouve la seule volonté de défendre à tout prix l’existant.

Vous vous attendez à quoi du prochain budget  ?

La présentation du budget est avant tout un exercice de communication, de propagande et fantasmagorie. Quoi que dise ce débile à la tête de la banque centrale, la recapitalisation quelle soit immédiate ou progressive reste inévitable. Rien que pour cet exercice,  il faudra trouver au minimum 100 milliards. Quant au discours, on va nous servir le même baratin réchauffé avec une garniture de Covid et d’Ukraine. Face au déluge de précarité, attendez-vous à quelques astuces de bricoleurs pour colmater des brèches. Cependant, il va falloir étudier attentivement les modifications apportées aux lois. Lors des débats, le MIC mettra le feu aux poudres.

Quel est votre avis sur la proposition de Rama Sithanen de constituer un gouvernement d’unité nationale ?

Mis à part les commentaires sur  l’aspect fantaisiste de la chose, je note que l’ensemble des observateurs sont passés à coté de l’essentiel.  La motivation du Dr Rama Sithanen à absolument positionner Paul Berenger comme ministre des finances  qui est selon lui, le moins démagogue, le moins populiste de tous les autres et le plus pertinent dans la compréhension des politiques à venir. Il est claire que ces  deux missionnaires du libéralisme sont sur la même longueur d’ondes, lorsqu’il s’agit de la privatisation des entreprises de l’État.  Un gouvernement d’unité national voudrait aussi dire, absence d’opposition face aux décisions impopulaires. On constate l’application de cette politique en Inde où le Gouvernement de Modi a décidé de mettre en vente une centaine d’entreprises étatiques. La preuve que chaque crise se révèle être une véritable aubaine pour le secteur privé. Cette décision du gouvernement Indien a provoqué une levée de boucliers avec un nombre sans précédent de manifestants dans les rues.

Vous croyez vraiment que c’est réalisable à l’ile Maurice ?

Paul Berenger l’a bien fait avec Mauritius Telecom. Ce sophisme libéral est une menace à prendre très au sérieux, car c’est la souveraineté de notre pays qui est en jeu. Au sommet de l’État, certains manœuvrent subtilement  à renflouer les caisses en privatisant, les services portuaires , l’Airport Holdings Ltd, la CWA et l’ensemble de la production énergétique.

Comment selon vous, comptent-ils procéder ?

Cette mise en place se déroule depuis 2016. Rappelez vous que Capital avait fait mention de cette fameuse rencontre en septembre 2016 entre Narendra Modi et Pravind Jugnauth a New Delhi. Selon nos sources, le premier ministre indien avait réprimandé son homologue Mauricien concernant les négociations avec DP World. Partant de là, au mois de Janvier 2017, Pravind Jugnauth met un terme aux négociations avec DP World et obtient de Narendra Modi une aide financière de USD 200 millions pour la modernisation des infrastructures. La fusion  de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL) et la Mauritius Ports Authority  ( MPA) va précisément dans ce sens. Je présume qu’ils vont présenter un plan de retraite volontaire (VRS) afin de réduire la masse salariale et rendre l’entreprise plus attrayante pour le « partenaire stratégique » . Ne soyez pas étonné que le nom ADANI, bailleur de fonds du BJP, figure parmi les partenaires stratégiques le plus en vue. En ce qui concerne la CWA , VIVENDI avait démontré son intérêt en 2018; alors que chez Airport Holdings ltd , le retrait de la bourse et la réduction du personnel facilitera le travail des courtiers .

Plusieurs observateurs pensent que notre situation est semblable à celle du Sri Lanka. Partagez- vous cet avis ?

Ça soulage que le monde découvre et parle du Sri Lanka. Parce que depuis trois décennies qu’on se tue à attirer l’attention sur les atrocités commises envers les minorités, personne n’entendait les cris des femmes violées, ou les hurlements des enfants déchiquetés par des bombes à fragmentations. Pourtant, la nouvelle d’un manque de papier a suffi par causer un émoi. Tous les observateurs se focalisent uniquement sur l’aspect de gouvernance et économique, surtout avec le niveau d’endettement du pays. Il y a deux choses qui m’intéressent le plus, d’abord l’échec de l’ethnocratie. Ceux qui manifestent dans les rues et veulent s’en prendre  au clan Rajapaksa sont les mêmes qui autrefois les glorifiaient. Deuxième observation c’est le sadisme des puissants. La Chine qui avait financée et équipée l’armée Srilankaise observe patiemment alors que le pays s’embrase et ses dirigeants se plient. Elle interviendra au dernier moment pour tout avoir à un prix rabais. L’économie ne se résume pas uniquement aux chiffres et ces deux observations sont des leçons que nous devons absolument retenir.  Depuis 2015, le MSM s’appuie à fond sur l’ethnocratie octroyant à Pravind Jugnauth un sens d’absolutisme. La personnalisation du pouvoir que nous témoignons est justement un symptôme infaillible de la décadence. A force de traiter l’Inde comme un prêteur sur gage, avec l’incapacité de rembourser, on finira par en devenir sa colonie.

Certains économistes affirment que notre économie démontre des signes de résilience ?

Albert Einstein disait « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Aujourd’hui , nous avons réuni théorie et pratique : Rien ne fonctionne… et personne ne sait pourquoi ! » Savez vous combien d’entreprises dépendent des subventions de l’État pour payer les salaires de leurs employés ? Si je vous dis que l’économie souterraine pèse plus de 40% de notre PIB ? Ce semblant de résilience, c’est l’effort combiné des hommes et femmes formant la classe des entrepreneurs de ce pays. Mais cette résilience ne saura durer sans une vision commune et le soutien de l’état.

Que reprochez vous au gouvernement de Pravind Jugnauth sur sa gestion de l’économie ?

Tout comme l’écume qui monte à la surface quand la tempête s’abat, cette pandémie a révélée toutes les failles du système. Les conséquences de l’incompétence au sommet de l’État, les séquelles du népotisme, corruption ainsi que le « noubanisme». Malgré les révélations de l’affaire Kistnen et les autres scandales dénoncés au parlement, la population est très loin de l’image complète. Une image sombre et effrayante. Avec la banque centrale converti en libre-service pour les rapaces, la vampirisation de  l’état , l’abus de pouvoir sans précédent et l’impunité qui règne dans le pays, l’histoire se souviendra du gouvernement  de Pravind Jugnauth ainsi que de  notre époque comme celle du grand banditisme .

Vampirisation de l’État, c’est grave comme allégation !

C’est  pas des allégations, ce sont des vérités que beaucoup savent mais choisissent de se taire.  Expliquez-moi l’octroi des contrats valant des milliards à Best Construct Ltd, la compagnie que le gouvernement Jugnauth accusait en décembre 2014  d’être corrompu ? Cette société qui a aussi obtenu des prêts de plusieurs centaines de millions des banques d’État. Vous avez vu dans quel piteux états ils ont laissé nos rues. Savez-vous qu’ils ont reçu presque la totalité des paiements ? Où en est  l’enquête de Sullaiman Hansrod ?.  Expliquez-moi comment du jour au lendemain seul la société Edmond Security rafle les contrats de gardiennage et de sécurité. Comment est-ce que les banques d’état ont pu avancer des centaines de millions à cette société ? Expliquez-moi pourquoi est-ce que la SBM délaisse le cybertour 1, immeuble appartenant à l’État pour emménager dans le Hyvec Business Park d’Eshan Chady ? Pourquoi selon vous on refuse de répondre aux questions sur la gestion de la MIC ? Le conglomérat OMNICANE était en chute libre en 2019, bien avant le covid. Donc, comment ont-ils  pu se qualifier pour obtenir plus de quatre milliards auprès de la MIC ? Un premier ministre de surcroît légiste,  venant vous dire qu’il n’existe aucun procès-verbal attestant les décisions prises par le  High Level Committee pour l’achat des équipements et médicaments valant plusieurs milliards,

Et si c’était que de l’incompétence ?

C’est de la compétence criminelle. Il suffit d’analyser l’allocation des contrats publiques, travaux civils, d’infrastructures, contrats de gardiennage, de nettoyage, de fourniture d’équipements, prestataires de services et autres. Allez voir combien des proches de politiciens se sont fait embaucher au sein des services publiques en utilisant le subterfuge de se faire enregistrer auprès du bureau de l’emploi. En falsifiant leurs adresses, ils évitent qu’un lien soit établi avec les élus de leurs circonscriptions. Les gens honnêtes,  qualifiés   qui estampillent leur carte chaque année  continuent à patienter. Posez la question à Pravind Jugnauth; A quoi ça sert d’avoir des entrepreneurs si le marché est réservé à des petits copains ? A quoi ça sert de faire revenir la diaspora si le recrutement au sein des services publiques se fait sur la base du tribalisme ? Face au pouvoir qui prend des airs de capétien, il n’y a nul autre solution que de faire sortir la guillotine !

En parlant de guillotine, on en voit beaucoup des révolutionnaires ces jours-ci .

Laissez-moi partager une anecdote  de la révolution française  .  Au 9ème jour, soit le 14 juillet 1789, en voulant trouver des munitions, les Parisiens prenaient d’assaut la prison royal de la Bastille. Les sept prisonniers qui s’y trouvaient furent portés comme des héros de la révolution . Pris par l’euphorie, les manifestants ne se sont pas rendus compte qu’en fait c’était deux fous, un violeur et quatre faussaires. En 2015, ils étaient peu nombreux  à décrier la mise en place d’un système dont nous voyons les résultats aujourd’hui. Plusieurs de ces pseudos révolutionnaires ne sont que des « maitresses trahi ». Celui qui a contribué  dans le pillage de notre richesse et la dégradation de notre environnement se vante d’être notre sauveur en proposant un projet de société.  Celui qui a été au four et au moulin durant l’expropriation de la BAI se targue d’être le sauveur des emplois. Je doute que cette flamme de la révolution ne soit une révélation divine.

Votre avis sur « l’expropriation  » de la BAI .

D’abord je me réjouis d’être allé à contre sens de cette déferlement d’absurdités, de calomnies et d’injustice . Nous étions les seuls à dénoncer haut et fort ce crime que nous avions dès le premier jour qualifié d’expropriation.   L’affaire BAI, c’est l’histoire d’une convergence d’intérêts des mafieux.  Dawood Rawat n’avait aucune chance de s’en sortir. Pendant quarante ans l’homme a fait face aux puissants oligarques qui voulaient à tout prix l’anéantir. Je constate que l’ingéniosité de Dawood Rawat a été, de lever des fonds par l’entremise des assurances pour investir dans des secteurs porteurs comme la santé et dans des marchés  émergeants comme le Kenya et le Botswana. Nul doute que cette croissance dérange dans le milieu des affaires. Surtout parmi ceux qui avaient une avance de trois siècles, un patrimoine foncier conséquent et qui ont pourtant échoué à percer le marché du continent africain.  Dawood Rawat a aussi été victime du racisme pratiqué par l’establishment omniprésent depuis 1968 qui voyait en lui un « lascar » et non l’entrepreneur. Selon eux, il aurait dû se contenter de s’asseoir derrière le comptoir d’une mercerie à la rue La Corderie . Sur le plan politique 2015 c’était aussi l’année où il fallait anéantir toute résistance au pouvoir et permettre l’intronisation sans encombre du futur roi.

Le pays est en ébullition, comment croyez-vous que ça va se terminer ?

Déjà pour s’être associé à la coalition Saoudienne dans le massacre des centaines de milliers au Yémen, le gouvernement Jugnauth s’est rendu coupable de haute trahison. Depuis décembre 2014, on dénombre plusieurs cas où ce gouvernement a agi contre l’intérêt du pays et de son peuple. La résilience  du gouvernement Jugnauth repose sur l’indifférence de certains et la peur des autres. Toutefois,  les répercussions économiques ainsi que les conséquences sociales vont avoir raison de ce gouvernement. Depuis la nuit des temps, cela a toujours été un éternel recommencement où l’histoire se recycle, mais ne se dénature pas. «Le roi est mort, vive le roi».

K.Ali

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