« Le secteur financier africain doit transcender les barrières pour embrasser une vision plus intégrative »

(TSHINU CONSULTING) – En marge de la 9e édition du Forum Makutano, la première à Abidjan, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Michel Losembe. financier congolais émérite, il a dirigé la CitiBank en RDC de 2002 à 2012 avant de prendre la tête de la BIAC (Banque Internationale pour l’Afrique au Congo), la plus grande banque du pays à l’époque. Membre de la première heure et ambassadeur du Forum Makutano, Michel Losembe revient sur les enjeux de cette première édition ivoirienne, tout en abordant diverses thématiques. De la Zlecaf à l’innovation en matière de finance, en passant par les perspectives de coopération entre la Côte d’Ivoire et la RDC, Losembe livre ses réflexions sur une Afrique en plein bouleversement.

En tant qu’ambassadeur du Makutano, quelle était la nouvelle vision et la dimension derrière l’organisation de cet évènement à Abidjan ?

Le choix d’Abidjan pour accueillir la 9ème édition du Forum Makutano, la première “Hors les Murs”, n’est pas anodin. Au-delà d’une simple délocalisation, c’est une décision stratégique visant à étendre la portée et l’impact du forum. Abidjan se profile comme un carrefour économique incontournable en Afrique de l’Ouest, offrant un accès à la CEDEAO à un marché prometteur de 360 millions de consommateurs.

La Côte d’Ivoire, qui concentre à elle seule plus de 40% du PIB de l’UEMOA, incarne une dynamique qui fait école sur le continent. De l’autre côté, la République Démocratique du Congo (RDC) est un pays-continent de près de 100 millions d’âmes qui se réorganise et nécessite des investissements massifs dans des secteurs très divers de l’industrie extractive à l’agro-industrie.

Au-delà de ces éléments, il convient de mettre en lumière le ravivement récent de la coopération entre la Côte d’Ivoire et la République Démocratique du Congo (RDC). Ce renforcement des relations bilatérales ne doit pas être perçu comme un cas particulier, mais un signe avant-coureur de ce que pourrait être une Afrique mieux intégrée, telle que le souhaite l’Union Africaine. L’adoption de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) en 2021 en est une indéniable manifestation

« Makutano affiche clairement ses aspirations panafricaines et son désir de favoriser une intégration régionale plus effective.»

Le déplacement vers la Côte d’Ivoire n’est pas simplement géographique ; il est conceptuel. Il traduit une volonté de Makutano de transcender les barrières historiques et linguistiques pour embrasser une vision plus intégrative du développement africain.
En tenant pour la première fois ce forum à Abidjan, Makutano affiche clairement ses aspirations panafricaines et son désir de favoriser une intégration régionale plus effective. Cette délocalisation s’inscrit dans une vision à long terme, car l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui comme un pilier non négligeable de l’édifice économique et social que Makutano ambitionne de promouvoir. Le forum veut donc se positionner ainsi comme un vecteur instrumental de la dynamique de cette Afrique en quête d’unité, de prospérité et d’inclusion.

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) aspire à booster le commerce intra-africain et à diversifier les économies nationales. Selon la CNUCED, ce vaste marché, le plus grand au monde en termes de population, pourrait stimuler le commerce intra-africain jusqu’à 33 % et réduire fortement le déficit commercial du continent. Qu’en pensez-vous ?
La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est en effet une avancée majeure en faveur du développement et de l’intégration du continent. Les chiffres éloquents avancés par la CNUCED ne sont pas les seuls qui soient prometteurs, notamment la Banque Mondiale préconise entre autres l’augmentation des revenus de l’Afrique de 450 milliards de dollars US d’ici 2035 – dont plus de la moitié provenant de la simplification de la bureaucratie et procédures douanières, et l’accroissement de 560 milliards de dollars US des exportations africaines.

La Zlecaf constitue une opportunité sans précédent de faire converger les économies nationales vers un objectif commun. Elle permettra non seulement de renforcer les échanges commerciaux, mais aussi de créer des chaînes de valeur régionales, d’encourager l’innovation et de diversifier les économies. De plus, cela donne aux entreprises africaines l’opportunité de collaborer de manière plus étroite, renforçant ainsi la compétitivité du continent sur la scène internationale.

Il sera instructif de regarder vers des régions comme la CEDEAO, qui ont déjà une solide expérience en matière d’intégration économique. Ces expériences existantes pourront servir de tremplin pour bâtir un marché encore plus grand, englobant 55 pays et 1,3 milliard de consommateurs.

Quant à Makutano, ses ambitions panafricaines s’alignent parfaitement avec la vision globale de la Zlecaf. Nous sommes déterminés à jouer un rôle actif dans ce changement en étant une plateforme pour le dialogue entre le secteur privé et les instances gouvernementales.

Cependant, il serait imprudent de passer sous silence les défis qui attendent cette ambitieuse entreprise. Les contraintes logistiques, les disparités économiques entre les pays membres, ainsi que des législations et réglementations disparates pourraient devenir des entraves à cette belle mécanique. Le défi sera de naviguer adroitement entre ces écueils pour réaliser le plein potentiel de ce vaste marché.

En tant qu’expert en finance, quels secteurs identifiez-vous comme étant les moteurs potentiels de cette nouvelle dynamique économique ? Comment les institutions financières peuvent-elles faciliter cette transition ?
Dans le contexte de l’intégration du continent, le secteur financier détient un rôle important en tant que catalyseur du commerce intra-africain. En effet, le secteur financier sert d’intermédiaire dans l’acheminement de liquidité des unités en excédent vers les unités en déficit. Ce qui améliore ainsi les capacités transactionnelles, d’investissement et de production des entreprises impliquées dans le commerce transfrontalier.

Je pense que l’accent devrait également être mis sur l’infrastructure des paiements numériques pour rendre les transactions transfrontalières plus efficaces, moins coûteuses et plus rapides. Le Système de paiement et de règlement panafricain (PAPSS) en cours de déploiement par Afreximbank est une étape dans cette direction, mais son adoption et son utilisation doivent être intensifiées.

Au-delà de ces réponses à relativement court terme, le secteur financier doit s’attaquer à des chantiers plus lourds que sont par exemple la mobilisation des capitaux nationaux et internationaux pour financer l’investissement et les infrastructures, le développement des marchés financiers pour encourager les bourses locales et l’accès aux capitaux pour les entreprises en croissance, la gestion des risques inhérents à notre continent en fournissant des produits d’assurance et des instruments financiers de couverture adaptés.

Pour réussir, une collaboration régionale approfondie dans le secteur financier est nécessaire, visant à une harmonisation des opérations et des réglementations. Cela comprend le partage d’informations, les mesures de conformité et l’harmonisation des législations. C’est un long cheminement.

Les banques traditionnelles en Afrique font face à des défis importants. Comment envisagez-vous leur avenir dans ce paysage en évolution ? Quel rôle peuvent-elles jouer dans la création de synergies entre les différents marchés africains ?
Les banques traditionnelles en Afrique font effectivement face à des défis importants dans un paysage en constante évolution. Pour réussir le pari de la synergie des marchés et s’adapter à cette évolution inexorable, il faudra que le système financier se mette à niveau et converge à travers le continent. Le secteur financier africain est en quelque sorte à la croisée des chemins et doit surmonter plusieurs obstacles.

La convergence vers les normes internationales est une nécessité pour insuffler une plus grande confiance dans les systèmes financiers locaux et favoriser les investissements transfrontaliers. Cependant, comme vous l’avez souligné, cette convergence est appliquée à des rythmes différents selon les pays, ce qui crée des disparités et complique le paysage pour les banques panafricaines.

Le coût élevé de la mise en œuvre des nouvelles réglementations et technologies, la nécessité d’assurer une capitalisation adéquate et le besoin de données fiables sont autant d’obstacles que les banques doivent surmonter.

Les gouvernements et les institutions régionales et sous-régionales devront être capables d’établir un meilleur environnement de collaboration. Il est donc crucial que les banques et les régulateurs travaillent en étroite collaboration pour harmoniser les normes et encourager l’innovation technologique, non seulement pour renforcer les systèmes financiers, mais répondre aux besoins socio-économiques du continent. Les banques qui sauront naviguer habilement dans ce paysage complexe seront mieux positionnées pour jouer un rôle clé dans la dynamique économique de l’Afrique à l’avenir.

Au-delà de ces défis non-exhaustifs, les banques traditionnelles ont également des opportunités significatives pour façonner l’avenir financier du continent et jouer un rôle clé dans la création de synergies entre les différents marchés africains.

Je peux vous donner un tableau rapide sur quelques perspectives sur l’avenir des banques traditionnelles en Afrique :

  • Les banques traditionnelles peuvent jouer un rôle majeur dans l’inclusion financière en Afrique. En développant des produits financiers accessibles aux populations non bancarisées, elles peuvent contribuer à étendre l’accès aux services financiers de base, tels que les comptes d’épargne, les prêts et les services de paiement. Cela peut stimuler l’économie et réduire la pauvreté.
  • La numérisation est cruciale pour l’avenir des banques en Afrique. Les banques traditionnelles devraient investir massivement dans la technologie et les infrastructures pour proposer des services bancaires en ligne, des applications mobiles conviviales et des paiements électroniques. Cela peut contribuer à réduire les coûts opérationnels, à améliorer l’efficacité et à mieux servir une population de plus en plus connectée.
  • Les banques traditionnelles doivent collaborer avec des start-up fintech et non les considérer comme concurrentes, pour combiner l’expertise en matière de technologie et la portée des institutions bancaires établies. Ces partenariats peuvent donner naissance à des solutions innovantes pour répondre aux besoins financiers diversifiés de la population africaine.
  • Les banques traditionnelles doivent investir plus dans une expansion régionale à l’instar de grandes banques panafricaines, afin de jouer un rôle clé dans la création de synergies entre les différents marchés africains en élargissant leurs activités à travers la région. L’intégration financière régionale facilitera ainsi les échanges commerciaux et les investissements transfrontaliers, contribuant ainsi à la croissance économique générale.
  • Les banques traditionnelles doivent mettre systématiquement des produits plus adaptés aux secteurs en croissance rapide tels que l’agriculture, les infrastructures et les technologies de l’information. En répondant aux besoins spécifiques de ces secteurs en croissance, elles soutiendront leur développement.

En somme, elles ont le potentiel de favoriser une croissance économique durable et de contribuer à la création de synergies entre les différents marchés africains, renforçant ainsi la position de l’Afrique dans l’économie mondiale. 

Les fonds d’impact, la microfinance et les cryptomonnaies, la finance islamique, la finance climat sont quelques-unes des formes de finance innovantes qui gagnent en popularité. En tant que financier expérimenté, quelles formes de finance innovante considérez-vous comme étant les plus adaptées pour attirer une nouvelle génération d’investisseurs axés sur l’Afrique ?
D’après mon expérience dans le domaine financier, chaque forme de finance innovante présente des opportunités et des défis uniques, surtout lorsqu’il s’agit de l’Afrique, un continent diversifié avec des besoins variés. Les fonds d’impact et la finance climat sont particulièrement pertinents pour les investisseurs conscients des enjeux environnementaux et sociaux, répondant aux Objectifs de Développement Durable (ODD). Or, sur le continent, les besoins sur ce segment sont estimés à une centaine de milliards $ chaque année. L’opportunité est donc prégnante.

La microfinance, déjà bien établie, sert les PME et entrepreneurs, constituant l’épine dorsale de plusieurs économies africaines. Ces entrepreneurs sont malheureusement sous-financés. Or, selon la SFI, les petites et moyennes entreprises d’Afrique subsaharienne font face, chaque année, à un manque de financement de près de 330 milliards de dollars. Débloquer donc le potentiel des micro-crédits pourrait agir comme un levier de transformation économique, contribuant à combler une partie du déficit de financement qui entrave leur croissance. Cette démarche aurait pour effet non seulement de stimuler l’activité économique à la base, mais aussi de créer des emplois, d’améliorer les conditions de vie et, à terme, de renforcer la stabilité économique et sociale sur le continent.

Quant à la finance islamique, avec ses principes éthiques, elle est encore sous-explorée sur un continent qui abrite plus de 400 millions de musulmans. C’est une niche valant plus de 200 milliards de dollars US pour moins de 10% d’actifs. Elle devrait attirer des investisseurs à la recherche de structures de financement équitables et pourrait séduire les marchés d’Afrique du Nord et de l’Ouest. C’est une voie prometteuse à explorer.

Selon des statistiques du secteur en 2022, 53 millions d’africains détiennent des cryptomonnaies devenant ainsi la deuxième région dans le monde après l’Asie. Ce rapport précise que l’augmentation de l’adoption de ces actifs numériques en Afrique s’explique essentiellement par l’utilisation de ces actifs comme moyen d’inclusion financière, canal alternatif d’envois de fonds transfrontaliers et bouclier contre l’inflation et la dépréciation des monnaies locales, soit exactement les objectifs recherchés par l’intégration financière évoqués dans nos échanges. Cependant les crypto-monnaies sont également facteur de risques de volatilité capables d’éponger l’épargne des populations. Il est dès lors urgent de réglementer les marchés ou à tout le moins améliorer la connaissance des risques inhérents.

La clé pour la nouvelle génération d’investisseurs sera probablement une combinaison de ces formes, adaptée aux spécificités régionales et sectorielles. Leur flexibilité et leur volonté d’innover seront des atouts majeurs pour investir efficacement sur le continent.

La commission mixte Côte d’Ivoire-RDC a pour but de renforcer les relations bilatérales, notamment dans les domaines du commerce et de l’investissement. Quels sont les secteurs et les initiatives spécifiques qui pourraient bénéficier le plus de cette collaboration ? Comment pourraient-elles contribuer à un écosystème commercial et économique plus durable entre les deux pays ?

La redynamisation de la commission mixte Côte d’Ivoire-RDC constitue un tournant décisif dans le renforcement des relations bilatérales entre les deux pays dans les secteurs du commerce et de l’investissement. Étant donné que la RDC a une orientation économique forte vers l’Afrique australe, notamment en raison de son secteur minier, la collaboration avec la Côte d’Ivoire représente une opportunité de diversification. Kinshasa pourrait servir de trait d’union, capitalisant sur le marché massif de l’Afrique centrale et l’Afrique australe aussi. L’accent devrait donc être mis sur plusieurs secteurs pour maximiser les retombées économiques et sociales, notamment la technologie, l’agriculture, le commerce et les infrastructures.

En agriculture, la Côte d’Ivoire, un des plus grands producteurs de cacao au monde, pourrait partager son expertise en agriculture commerciale et durable avec la RDC. Cela peut s’étendre à d’autres domaines comme la caféiculture, la sylviculture ou l’élevage.

Autre exemple, sur le front de l’énergie, la RDC, dotée de l’un des plus grands potentiels hydroélectriques d’Afrique, peut collaborer pour le développement d’infrastructures énergétiques écologiques. L’accent sur les énergies renouvelables pourrait positionner les deux nations comme des leaders dans le combat contre le changement climatique.

Sans oublier que ce rapprochement diplomatique n’est pas seulement une question d’économie. Il faudra aussi miser sur les échanges culturels et de partage d’expériences en matière de gouvernance, de résilience et de gestion de crises. L’objectif devrait être de créer un écosystème où les savoir-faire sont partagés et où chaque pays contribue à l’édification d’une Afrique plus prospère et plus durable. 

Alors que les crises géopolitiques et socio-politiques s’étendent de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale, l’incertitude politique s’affirme comme un enjeu de taille pour la stabilité économique. Comment envisagez-vous l’avenir des économies africaines dans ce contexte complexe ? Quelles stratégies les institutions financières pourraient-elles adopter pour minimiser l’impact de cette incertitude sur les marchés ?

L’incertitude politique en Afrique, qui couvre un spectre allant de tensions sociales aux conflits armés, notamment dans un contexte géopolitique instable marqué par des coups d’État dans des pays comme le Mali, la Guinée, le Niger, le Burkina Faso et le Gabon représente en effet un défi considérable pour la stabilité économique du continent. La volatilité qui en résulte peut avoir des effets en cascade sur les investissements, la confiance des marchés, et par extension, sur la croissance économique et les objectifs de développement.

Cette période, également influencée par des tensions internationales comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie, exacerbe ces défis économiques. La quasi-fermeture des marchés financiers aux pays africains, le resserrement des conditions de crédit et une inflation galopante, exacerbée par une crise de la dette publique dans certains pays, en sont quelques manifestations.

Dans un tel environnement, les institutions financières doivent adopter des stratégies robustes. Elles doivent envisager des mesures de couverture pour atténuer les risques liés à la volatilité des marchés, tout en diversifiant leurs portefeuilles pour réduire l’exposition à des secteurs ou régions spécifiques. De plus, l’accent doit être mis sur le financement de projets durables qui, à long terme, peuvent contribuer à une croissance plus résiliente.

1 Tshinu

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by : TSHINU CONSULTING

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