Jack Bizlall, observateur politique: « L’heure à la conscience collective »

Dans l’interview qui suit, l’observateur politique Jack Bizlall, qui se consacre actuellement à la formation des jeunes à la chose politique, revient sur la pertinence d’une conscience politique

Depuis quelques années déjà on se pose la question suivante : Quelle est l’état de conscience collective des jeunes ? Que répondez-vous a priori à cette question ?

Qu’il y a plusieurs définitions à donner avant de répondre à cette question. Il est important de procéder par la méthode sémantique. Avant toute autre chose, l’être humain construit sa conscience par des cycles de vie dans le cadre de périodes historiques (la dimension du temps); par l’environnement immédiat sous le contrôle d’un centre économique, politique ou culturel  (la dimension de l’espace où il vit une culture de proximité sous l’hégémonie d’une culture dominante venant d’ailleurs);  par sa situation de classe (son rôle dans le mode de production sur le plan économique) ; par sa position de classe (ceux qu’il soutient sur le plan politique) et enfin, le plus important, par son accès à la civilisation la plus avancée qui existe (pas encore établi hélas sur le plan de son universalité empêché en cela par l’eurocentrisme et certaines religions et leurs contraintes). Comme on le constate cette construction est multidimensionnelle et elle est soumise aux hasards de son évolution dans les rapports humains.

Quel est votre définition du terme « jeune » dans le cadre d’une analyse de la conscience humaine ?

Un jeune pour moi, est un individu qui traverse le troisième cycle de sa vie, de 9 à 18/19 ans, et qui continue à se construire  jusqu’à la fin de son quatrième cycle de vie (de 19/20 à 45 ans). A partir de 9 ans jusqu’à sans doute la fin de ce troisième cycle, les filles vont prendre une avance sur les garçons. Il faut bien faire comprendre que tous les être humains ne se développent pas au même rythme pour cause de l’environnement surtout. Certains peuvent devancer leurs cycles et d’autres peuvent être en retard sur leurs cycles. Mais il y a en fin de compte un rattrapage quasi universel.

Dans ce cas il faut bien établir quelle définition donner au terme conscience et s’assurer si la conscience est libre, en soi ?

Il est raisonnable de penser que toute conscience individuelle pousse l’individu à approfondir un savoir continu de ce qui se passe en lui et autour de lui et à s’engager à porter une opinion éthique ou esthétique sur ce qu’il pense être et sur ce qu’il considère la liberté de sa personne. Nous parlons dans ce cas de conscience individuelle. Toute conscience individuelle dans le monde où nous vivons est libre en soi, sauf s’il y a manipulations sociale, psychique et demain celle des implants cérébraux artificiels de contrôle à distance. C’est le premier des bonds fantastiques issus de la révolution libérale. La conscience se place au centre de la pensée de l’individu. Conséquemment la conscience individuelle ne peut qu’être subjective. Il n’y a aucune raison d’ailleurs que l’individu face à lui-même développe une pensée objective le concernant, c’est-à-dire qui ne soit pas objectivement dans ses intérêts propres. Il faut faire la différence ici entre « le pour soi » et « le que pour soi ».

Il me semble que vous donnez beaucoup d’importance au terme « rapport»…

Parce que dans un cadre bien précis de la subjectivité de la pensée, le terme conscience est le plus difficile à définir puisqu’il contient différents rapports organiques que l’on n’a pas encore fini de découvrir, tant le système est complexe. Dans un petit ouvrage de réflexion sur la question intitulé « Une auto-initiation à la Philosophie et à la Conscience » écrit en 2007, je parle entre autres de représentation mentale et de la complexité d’avoir des représentations universelles tant les choses sont différemment interprétées. Je parle alors de confusion mentale et des paradoxes de la fragilité et du conditionnement de la conscience … La personne humaine, en tant qu’individu à une conscience particulière qui lui permet de maintenir des rapports avec lui-même en premier et avec son environnement en second lieu.  L’individualité est en amont des libertés de sa personne et en aval il se retrouve balloté par la conscience collective qui le domine. Il est au départ libre de sa pensée, de ses actes et de ses mouvements. Il faut aussi aborder ce que la psychanalyse décrit comme étant l’inconscient, le subconscient, le préconscient, le sur-conscient et il faut aussi aborder la question de l’inconscience qui elle est psychologique. Bref on aborde là une question bien complexe. Mais on n’est pas encore entré dans la conscience collective.

Comment intervient le collectif chez l’individu ?

Par plusieurs voies. C’est la conscience collective, en opposition paradoxale à l’individualité, qui complique les choses. Je me suis penché sur la question avec une très grande attention et je vous propose mes conclusions qui sont purement intellectuelles et empiriques. Je pars du principe que nous sommes obligés de vivre en collectifs. Mais la pensée ‘philosophique’ libérale nous pousse non pas à penser collectif, mais à penser en tant qu’individus, à agir en tant qu’individus et à progresser dans la vie en tant qu’individus. La conscience collective repose sur une  singularité sociale, qui est la dimension politique de l’obligation de « dormir ensemble tout en tirant les draps vers soi ». Vivre en collectifs est une obligation incontournable sauf si on a des moyens de se cloitrer et de vivre en autarcie. Dans ce cadre du vivre ensemble, l’individu aliène sa liberté de décider (plus de nécessité de savoir) et la liberté d’avoir une opinion (donc plus de nécessité de contester et de choisir).

Faut-il penser donc que la conscience individuelle est en opposition à la conscience collective ?

Effectivement et les effets sont marquants. La société humaine se construit par le diktat des leaders et un système coercitif (constitué du judiciaire et de ses lois ; de l’éducation et son objectif d’insertion ; de la police et sa répression et sa surveillance et de l’information et son rôle de tout formater) qui agresse constamment la conscience individuelle d’abord par la non nécessité de décider autrement et ensuite par l’imposition des décisions qui n’ont souvent aucuns intérêts pour l’individu. Ce qui pousse l’humain à se renfermer sur lui-même et ne plus agir ou à se révolter. Pire, à scinder les collectifs jusqu’à l’agression réciproque pour maintenir ou se débarrasser d’un leader pour le remplacer par un autre. Il faudra demander aux citoyens individuellement quelles sont leurs justifications pour maintenir Jugnauth ou faire retourner Ramgoolam. On risque d’être profondément choqué.

Démarquer ainsi la conscience individuelle de la conscience collective, ne transforme-t-il pas un individu en un schizophrène ?

Tous les êtres humains souffrent dans des degrés différents de différents types de schizophrénie. Mais je parle ici de deux effets distincts. Le premier effet touche l’individu en toute liberté et subjectivement il peut résister, contester et s’opposer. Mais voyez comment collectivement les collectifs humains en société interprètent les événements issus des aberrations de la conscience collective produisant diverses réactions… La conscience individuelle n’aime pas le vide et elle est l’élément principal qui nous différencie… Or la conscience collective se retrouve souvent dans le vide. Il est important de bien situer l’importance à donner à ces deux formes de conscience. Pour la conscience collective il faut bien parler de la conscience de classe et sa manipulation au niveau de la représentation idéelle… Il faut aborder le paradoxe de la conscientisation dont on parle souvent, des concepts liés à la conscience que sont celui de comprendre et celui de l’alternative; de la question de construire une nouvelle conscience, etc.

Mais où se situe le premier des problèmes ?

L’individualisme est une nécessité pour faire grandir les jeunes quand ils traversent leur période narcissique du ‘Moi’, aidés en cela par leurs mères. Ensuite, c’est la catastrophe sur tous les plans. Tout est réuni pour que l’individualisme soit ensuite une nécessité opportuniste dans une société libérale, avec son lot d’exploitation, de domination, de différentiation, de racisme, de xénophobie, de génocide, d’eugénisme…. L’individualisme devient ainsi l’agent de liaison entre la conscience individuelle et la conscience collective, chargé de toutes ces déviances. Vous n’allez pas me croire, presque tous les ‘leaders de gauche’ sont des personnes atteintes de narcissisme et sont de grands individualistes. Excusez ce pléonasme.

L’action spirituelle, philosophique ou politique, n’est-elle pas là justement pour empêcher ces déviances ?

Certains ont voulu tuer l’individualisme et pour y arriver ils se sont attaqués à l’individualité. On nous a proposé depuis la révolution en Russie, différentes formes de sociétés alternatives qui n’ont engendré jusqu’ici que des aberrations du collectivisme bureaucratique avec l’élimination des individus ayant une conscience individuelle libre et autonome. Beaucoup n’ont pas compris pourquoi dans des luttes politiques de vie ou de mort, ce sont les intellectuels qui sont emprisonnés ou tués. Au Chili sous Pinochet comme lors de la révolution culturelle en Chine. Sous Staline plusieurs centaines d’intellectuels ont été assassinés. Quelqu’un qui prône l’hégémonie du collectivisme sur l’individualité est potentiellement dangereux.

N’y a-t-il pas de solutions ?

Nous n’avons pas pu concilier jusqu’ici l’individualité et la collectivité. Il faut prendre conscience de ce fait. Je mets au défi qui que ce soit qui me dira le contraire.  J’ai essayé par l’autogestion de contourner l’individualisme. A Litra, à l’imprimerie Henry Ltd, à l’imprimerie La Commune et à l’Ébénisterie Flamboie, à la FPU, au sein du Mouvement Premier Mai, au sein de l’Observatoire De La Démocratie, etc. J’ai observé ce qui s’est passé à l’UBS avec l’Intrabis, au sein de l’ACIM, au Collège Newton…. pour contourner l’individualisme. Personne ne peut savoir la somme d’énergie ainsi dépensée. Le « résultat » ? Je vous laisse deviner. J’y reviendrai un jour ou l’autre. Je me suis engagé dans une autre forme de proto-alternative économique avec les anciens planteurs de tabac. On verra.

Sur quels critères peut-on analyser l’état de conscience des jeunes ?

On ne juge pas arbitrairement une conscience collective. Il faut seulement la jauger en termes de valeurs recherchées par l’individu. C’est-à-dire mesurer la conscience collective par l’aune de la conscience individuelle. Entendons-nous bien. On parle de jeunes. Quand quelqu’un a dépassé le quatrième cycle de sa vie, il est récupéré. C’est ce que j’ai constaté (et subi à mes dépends) dans les collectifs où j’ai milité. Je fais mon analyse sur quatre critères : Le savoir, le savoir-faire, le savoir être et le savoir vivre.

Que constatez-vous sur le plan du savoir ?

En termes de savoir et de connaissance, les jeunes sont dans le fordisme intellectuel. Leur conscience est grandement affectée par un manque de savoir holistique. Pour autant que ce mot ait une définition acceptable, tant il est galvaudé. Le résultat est qu’ils sont dans le quiproquo permanent opposant leurs savoirs spécialisés mais combien restreints. Allez lire ce qu’ils écrivent sur face book. La conscience collective des jeunes est « explosée ». Ils évitent les confrontations entre collectifs de réflexion et d’action. En tant qu’individus ils s’injurient réciproquement quand ils ne se comprennent pas. Ils communiquent par la pratique de la conversation instantanée. N’écrivent presque pas de lettres. Lisent peu. Ce n’est pas fatidique. Il suffit de prendre conscience de leur état pour régler ce problème par l’éducation d’assertion. La conscience collective des jeunes nous mène tout droit vers un monde d’experts et de consultants sous le contrôle de la technocratie. Le smart city n’est qu’un exemple. Que peut-on vraiment construire avec le fordisme intellectuel, le fordisme industriel, le fordisme social… sinon une société de castes… et  la soumission de l’individu et de la société dans son ensemble à l’État. Nous allons tout droit vers un État en soi et pour soi sous le contrôle d’un système dynastique, d’une république présidentielle… avec le confucianisme comme idéologie.

Si vous être critique sur le plan du savoir, la situation serait autant grave sur le plan du savoir-faire ?

Sur un plan oui. En termes de savoir-faire et de questionnement philosophique, alors là je ne m’interdirai pas de faire valoir mon grand regret. Je constate que beaucoup de jeunes vivent chez leurs parents jusqu’à un âge très avancé. Ils subissent ou bénéficient de la situation de classe de leurs parents. Ils sont plus intégrés dans la catégorie sociale des jeunes, que dans une classe sociale déterminée. Leur conscience collective est ainsi très particulière. Ils disent tous, ou presque tous, qu’ils ne sont ni de gauche, ni de droite. C’est évidemment un aspect de la conscience collective opportuniste. Mais la question est de savoir non seulement l’impact d’un savoir-faire particulier et castéiste sur leur conscience, mais encore plus sur la société. Une société de castes n’est forcément pas républicaine. C’est ce que pourtant les jeunes construisent inconsciemment.

Sur l’autre plan, serait-il contradictoirement positif ?

Force est de constater qu’ils ont un savoir-faire qui explose le secteur informel. Voyez l’importance économique des Start-up avec de nouvelles technologies de plus en plus innovantes.  En Israël, aux États Unis et ailleurs il existe des milliers de ces petites sociétés. Ces nouvelles créations ont un énorme avantage: la communication rapide et directe par internet. Voyez combien d’individus deviennent des idoles par une simple création musicale sur internet. Nous constatons quoi à travers le monde ? Les jeunes fuient l’agriculture et l’industrie manufacturière. Cela coïncide avec la désocialisation de la production. Le savoir-faire qui attire les jeunes se retrouve important dans le secteur de service (principalement trois en tout : le secteur financier, celui du loisir et celui de la consommation). L’état de conscience collective évolue vers la consommation et non la production. La conscience collective est donc obstruée par ce qui est disponible sur le marché formel et informel. Cette tendance va paradoxalement remettre en question le système capitaliste par la crise de surproduction et paradoxe des paradoxes, par l’abandon des deux secteurs de production pour plusieurs raisons. C’est dans ce cadre précis que je veux intervenir politiquement pour changer les choses par la décroissance soutenue comme concept politique de changement plaçant l’autogestion comme agent de liaison entre l’individualité et la collectivité.

Quel est votre constat et vos appréhendions ?  

Tout pousse un jeune aujourd’hui à vivre dans l’avoir et le paraitre. L’individualisme comme agent de liaison qui navigue entre la conscience individuelle et la conscience collective développe peu à peu, dans une société de consommation de l’offre (non plus de la demande) à faire accepter au sein des collectifs, l’individualisme en soi comme une valeur que tout jeune doit acquérir pour ne pas être traité de loser. Il y a une masse de plus en plus grande de loseurs dans le monde. L’état de conscience collective chez les jeunes pousse donc à valoriser l’individualisme et provoque une régression du savoir être et du savoir vivre chez les jeunes par rapport aux anciens.  Question : Le monde de demain sera-t-il un monde bipolaire entre winners et losers ? Finirons-nous par pratiquer l’eugénisme pour éliminer les losers dont on n’aura plus besoin. On le pratique déjà.

Capital Media

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