Médias : Le bal des cons

Bien des voix se lèvent pour dénoncer cette allure despotique des médias, ou encore cette fâcheuse habitude de défense névrotique, au point de prendre les lecteurs pour des cons. Cette industrie qui connaît des défis de réaménagements structurels, témoigne aussi d’une remise en question de sa nature-même. Faufilons dans cet alambic qui distille la matière grise de tout un peuple.

Cette phrase culte de ce trio d’humoristes français, Les Inconnus, « Ils ne faut pas prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont » résume quelque peu la situation. Dans le débat de « Qui est le con? », il y a quand même un consensus autour de l’abêtissement général de la population. La connerie est si pesante, qu’un de nos confrères a même trouvé moyen d’en faire une affaire. Il faut reconnaître que pendant des décennies les medias ont façonné le public à se complaire dans la médiocrité. Les médias ont fait la pédagogie de la vulgarité et de l’inculture. Pourquoi alors les médias s’étonnent de l’appauvrissement intellectuel qu’ils ont enfanté ?

Un diagnostic plus poussé nous porte à croire que les deux chercheurs du département de psychologie de la Cornell University, David Dunning et Justin Kruger avaient raison dans leurs hypothèses publiées en 1999 « Unskilled and Unaware of It: How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments ». Selon leurs théories, les personnes les moins compétentes dans un domaine donné ont tendance à surestimer leurs compétences et, inversement, pour les plus compétentes à sous-estimer leurs compétences. Les gens atteints dégagent une illusion de supériorité en évaluant leur propre compétence au-dessus de la moyenne. Mais on ne peut transposer cette hypothèse uniquement qu’aux médias. En parcourant les travaux de Dunning & Kruger, on voit défiler des visages de bien d’autres personnages.

Une industrie

Les questions qui surviennent alors, c’est pourquoi les médias agissent-ils ainsi ? Est-ce uniquement un manque de formation ? Où y-a-t-il une démarche machiavélique, comme celle qui accompagne toute forme de pouvoir ? On prête souvent aux médias des pouvoirs (qu’ils n’ont jamais eus), tout comme des torts qu’ils n’ont pas toujours. Mais l’essentiel qu’on oublie trop facilement, c’est que les médias forment une industrie et ne sont guère des sociétés de bienfaisance. C’est composé d’hommes et de femmes qui sont sujets aux exactions, dépravations, dérives et mégalomanie. Bref ! Ils sont vulnérables à tout ce qu’ils dénoncent. D’où la raison principale de comment, ils ont perdu leur bouclier : la crédibilité. Plus haut dans la hiérarchie de la grande majorité des médias, se cache des élites économiques et politiques. De véritables stratèges, des guerriers tranquilles, pour qui l’élément primordial, c’est le contrôle. Que ce soit par la stratégie de la diversion ou autres, ils ont le pouvoir, de faire avaler en douceur au peuple, la pilule la plus amère. De provoquer ou de contenir des révoltes. De créer un problème pour ensuite vous canaliser vers la solution voulue. Toutes ces manœuvres portent sur des enjeux purement économiques.

Controverse

Une situation qui nous ramène dans le temps. Plus précisément, le 12 avril 1883, quand lors du banquet regroupant des confrères au Twilight Club de New York, le célèbre journaliste John Swinton s’oppose à porter un toast à la liberté de la presse. Il déclare « La presse indépendante n’existe pas. Vous êtes tous des esclaves. Vous le savez, et je le sais. Il n’y a pas un seul parmi vous qui ose exprimer une opinion honnête. Si vous l’aviez exprimée, faut savoir à l’avance qu’elle ne serait jamais imprimée. Je suis payé pour garder mes opinions honnêtes loin de mon journal. D’autres parmi vous sont payés des salaires similaires pour faire des choses semblables. Si je devais imprimer des opinions honnêtes dans mon journal, je serais comme Othello : avant vingt-quatre heures : je serai au chômage. Le travail d’un journaliste est de déformer la vérité, de mentir purement et simplement, à pervertir, s’agripper aux pieds de Mammon, et de vendre son pays et sa race pour son pain quotidien, ou pour son salaire. Vous le savez, et je le sais; et quelle imbécilité de vouloir lever un toast en l’honneur de la « presse indépendante » ! Nous sommes les outils et les vassaux de ces hommes riches cachés dans les coulisses. Nous sommes des marionnettes. Ils tirent la corde et nous dansons. Notre temps, nos talents, nos vies, sont tous les biens d’autres hommes. Nous ne sommes que des prostituées intellectuelles ». Une prise de position très chère payée pour John Swinton, qui restera néanmoins dans les annales.

Pseudo indépendance

Décembre 2014, le journaliste et écrivain Alain Gordon-Gentil, livrait ses impressions à Capital sur le sujet de l’independance de la presse. L’homme qui a passé 30 ans de sa vie dans divers rédactions est d’avis, qu’il n’y a pas de presse indépendante, « C’est un leurre ! Il faut juste que nous essayions d’être honnêtes dans les faits. Quelle indépendance ? De qui ? Quand on dit indépendance, on pense souvent uniquement à l’indépendance vis-à-vis de la politique. Mais l’indépendance politique n’est rien à obtenir par rapport à l’indépendance économique, beaucoup plus insidieuse, beaucoup plus dangereuse et surtout beaucoup plus réelle. Il était édifiant de constater que pendant l’anniversaire des 50 ans de la Mauritius Breweries, tous les journaux ‘mainstream’ se sont répandus en articles sur la bière Phoenix. Je ne vous parle pas de publi-reportage, mais de vrais articles écrits par les rédactions. Et vous n’êtes pas sans savoir que la presse mène un combat contre l’alcoolisme et ses méfaits. Dès lors, que comprendre ? Tout simplement que, quand le pouvoir de l’argent et des annonceurs s’exerce, l’indépendance s’envole de ses ailes légères et disparaît en silence. Vous voyez, notre problème est que nous n’acceptons jamais de nous remettre en question. Nous adorons nous ériger en grand donneur de leçons, mais toujours pour les autres. Quelquefois je pense que celui qui fera la presse se remettre en question n’est pas né ». Un témoignage qui résume la pensée populaire et confirme que 133 ans après cette fameuse déclaration de John Swinton, rien n’a changé dans ce paysage médiatique traditionnel. Le véritable pouvoir est toujours détenu par un faisceau de groupes économiques dont le poids dans le pays apparaît plus important que celui de l’Etat.

Comme le disent si bien ces gurus du management qui champignonnent, « Chaque crise apporte son lot d’opportunités ». Cela s’applique aussi pour cette crise de ‘déconnement populaire’ qu’on voit aujourd’hui. L’accès à l’enseignement résulte dans la production en masse de diplômés et d’intellectuels. Plus nombreux mais moins éclairés. Mais durant les dernières décennies, plus particulièrement depuis les années 90, poussé par la consommation et la recherche frénétique du profit, on a délibérément négligé l’importance d’une prise de conscience collective des formidables possibilités de notre cerveau. Une période qui coïncide avec le début de la perversion des médias à Maurice. Ils sont plusieurs ces hommes politiques que l’obsolescence prématurée avait forcé au retranchement dans des rédactions pour éviter ainsi une crise existentielle. Inspiré de leur ‘enseignement’ politique, ils ont fini par faire des médias devenir comme ‘La ferme des Animaux ‘ de George Orwell.

Prêt-à-digérer

Devenue une industrie à part entière, les médias sont soumis à la course à l’argent qui guide la société de consommation. Rien qu’à observer la relativité proportionnelle du personnel dans le marketing / comptabilité et la rédaction, on comprend mieux comment l’activité principale des médias est loin d’être de l’info ou d’opinion. Si les grandes multinationales ont créé le prêt-à-porter et le prêt-à-manger, les médias ont créé le prêt-à-digérer. Avec cette paresse intellectuelle dominante, les lecteurs se sont longtemps sentis à l’aise avec toutes ces propositions de prédigérées. Bref, cela arrange tout le monde que les gens ne réfléchissent pas.

« Curiosité malsaine »

Couplé avec ce comportement de ‘bébés aux intestins fragiles’, le lecteur d’aujourd’hui est friand du voyeurisme. Un relevé des articles les plus lus, nous confirment le penchant des lecteurs pour les faits divers les plus sordides. Un phénomène qui avait poussé, le scientifique et observateur, Joël de Rosnay, à publier un billet intitulé ‘Curiosité malsaine’. Une interpellation fort intéressante qui fait allusion à cette corrélation entre l’offre et la demande. Pour Joël De Rosnay, « Les médias sont régulièrement accusés d’abreuver les masses de nouvelles dramatiques. Mais si nous n’étions pas des consommateurs avides d’informations qui font peur, ils cesseraient de les diffuser, au lieu de pratiquer cette surenchère permanente. D’où nous vient cette fascination pour les catastrophes et autres mauvaises nouvelles ? Serions-nous tous des voyeurs morbides ? Cette curiosité malsaine, est pourtant indissociable de la nature humaine ».

Le développement de plateformes nées des nouvelles technologies épaissit davantage le brouillard autour de l’image des medias. Si certains se proclamant les représentants des médias s’aventurent à décrier qu’il y a trop d’informateurs amateurs, on serait tenté de répondre qu’il y en a autant dans les salles de rédaction. C’est l’absence de l’offre recherché qui mène à cette improvisation. Ces bloggeurs et autres internautes se métamorphosent en défenseurs de la démocratie. Ils se substituent aux médias, précisément parce que ces médias ont non seulement failli dans la protection de la démocratie, mais ils ont inéluctablement tenté d’instaurer une dictature de la pensée à la manière de nos politiciens.

Le nouveau bouclier

D’abord, comme nous l’affirme Alain Gordon-Gentil, il faut avoir le courage de se remettre en question. A défaut de ne pouvoir être indépendant, on peut être honnête et ce n’est pas non plus à coup de débats interminables ou des chartes qu’on va le devenir. La demande populaire penche pour la vérité. Que les médias épousent des philosophies de gauche, droite, centre, écologique, ultralibéral, conservatrice ou religieuse, c’est parfaitement légitime, acceptable et accepté. Aussi longtemps, que c’est affiché.

Certains critiques sont d’avis que la presse, c’est comme la femme de César et elle ne doit pas être soupçonnée. D’ailleurs il aura suffi d’une simple rumeur d’adultère pour que Pompéïa soit répudiée. Les lecteurs réclament non seulement de l’intégrité professionnelle, mais aussi et surtout un comportement moral exemplaire. C’est fini, le temps où on pouvait semer le doute dans la tête des lecteurs en posant une question à la une du journal. Aujourd’hui, les nouvelles technologies permettent aux lecteurs de répondre. Les attaques gratuites contre la vie privée de gens sont de nos jours sujettes à des salves de questions. Dont certaines portent souvent sur le droit moral de l’auteur de jeter la pierre. Sur ce sujet précis, il y a urgence. Au rythme des dérives et dépravations des gens des médias, bientôt très peu auront le ‘standi’ de se prononcer. Le silence assourdissant dans certains cas, l’insolence dans d’autres, les manèges de déviations, les éditoriaux contradictoires, rien n’y échappe au périscope des lecteurs.

Aux actionnaires des médias, on réclame de la transparence, un frein aux méthodes déloyales, ce mercato permanent qui donne lieu à des débauchages infects, le respect de la dignité des employés et une déclaration s’ils ont choisi de promouvoir des intérêts particuliers. Cela devient évident que seul les médias qui assument leurs responsabilités sociales et qui militent pour des valeurs universelles retrouveront leurs boucliers. Ces médias progressistes dans les idées, défenseurs de la paix et de la démocratie pourront se démarquer et survivre. Les annonceurs devront revoir leurs copies. Fini le temps des sondages bidons et des rapports teintés. Les agences publicitaires et annonceurs ne pourront échapper au jugement des lecteurs.

La réflexion

Quant à l’expression des opinions, il faut faire la différence entre diriger la pensée de façon à faire de la propagande subtile et de traiter un sujet dans la mesure, à donner une perspective. Comme nous l’explique Lindsay Rivière, fondateur de Business Magazine, ancien rédacteur en chef du Mauricien et journaliste de carrière, « Le rôle du journaliste n’est plus d’imposer une opinion mais plutôt de stimuler la réflexion chez les gens. En d’autres mots, la presse est l’industrie de la pensée. Elle structure et démocratise la pensée. Ce qui va dominer la presse dans les années à venir, c’est l’analyse. L’impact des éditorialistes est toujours là, mais la perspective est différente, soit ne pas imposer mais plutôt donner des pistes de réflexion ».

Quant aux lecteurs, bloggeurs, audimat et autres téléspectateurs, ils doivent reconnaître qu’il incombe à l’industrie de faire vivre ses employés. Les actionnaires ont le devoir d’assurer un salaire décent, mais aussi d’offrir un produit de qualité à leurs clients que sont les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs. D’où l’importance de réaliser des profits honnêtes. Tout vouloir, instantanément, honnête et gratuit révèle du masochisme, voire du sadisme. On ne va quand même pas payer nos fournisseurs avec des copies invendues ? Autre impératif pour les lecteurs, c’est de comprendre que les médias peuvent les aiguillonner sur des pistes de réflexion ou amplifier leurs voix souvent trop timides, mais ils ne peuvent s’attendre à ce que le rôle de l’Etat et de ses institutions soit usurpé. Si les médias doivent être considérés comme un contre-pouvoir, il incombe alors aux lecteurs de contrer perpétuellement ce contre-pouvoir afin d’éviter des abus. Et, ce n’est pas en édifiant les animateurs de radio, éditorialistes et journalistes en stars ou dieux, qu’on y parviendra. Cela, gardant en tête que les gens des médias sont des citoyens et tout comme ces hommes politiques, ils forment un échantillonnage de la masse. De ce fait, si on déduit qu’ils sont des cons, on l’est tous.

Capital Media

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