Le commerce à Maurice, sous le joug colonial, a été parsemé de l’arrivée de plusieurs groupes de commerçants. Nombreux étaient les marchands indépendants qui ont suivi librement le courant migratoire des immigrants sous contrat. Parmi, figure la famille Bahemia, dont le patronyme est synonyme de commerce
L’enseigne de la quincaillerie Bahemia, à l’angle des rues La Corderie et Royale est presqu’un monument dans la capitale. Le premier des Bahemia à fouler le sol mauricien est Ismael Ibrahim Bahemia, le 9 août 1845. Originaire de Rander, petite village de Surat dans l’état de Gujarat, Ismael Bahemia débarque à Maurice comme Money Changer. Par la suite, il ouvre une quincaillerie.
Ismael Bahemia, portant le même nom que son arrière grand-père se souvient : « C’était plus qu’une quincaillerie, on y trouvait de tout : Des lampes, des réchauds, des tondeuses à gazon, de la verrerie, des articles en caoutchouc, des bouchons, des bicyclettes, des pièces pour automobile, des outils de plomberie et de charpente, bref you name it, we had it. Mon arrière grand-père est entré dans ce domaine ayant constaté un manque de grandes quincailleries à Port-Louis ». Ismael Bahemia, aujourd’hui Chartered Accountant, se fait un point d’honneur de ne pas laisser mourir dans l’oubli l’histoire de sa famille. Le nom Bahemia, dit-il, avec une fierté légitime, appartient à l’histoire commerciale du pays, c’est un patrimoine que tous les descendants Bahemia continuent à chérir et à protéger. Aujourd’hui, les Bahemia sont à leur sixième génération à Maurice.
Diversification des investissements
Ismael Ibrahim Bahemia décède en 1890, non sans avoir fait de son fils, Ibrahim, son partenaire en affaires. En 1894, ce dernier et ses quatre fils, Cassam, Ismael, Amode et Mamode, créent leur compagnie, I. Bahemia et Cie. Petit à petit, ils diversifient leurs activités, se lançant ainsi dans le commerce des produits électroménagers. Leur réputation de commerçants intègres et de produits de qualité les précédant, les Bahemia deviennent ainsi les représentants agréés de plusieurs marques internationales. Tout en étant les premiers représentants de la marque Singer (machines à coudre) dans le monde, les Bahemia commercialisent également les téléviseurs de la marque Nordmende, les radios Pilot, les réfrigérateurs Frigidaire, les pneus Goodrich ou encore les fils à coudre et à tisser Clark. Une preuve de leur succès, s’il en fallait une : les Bahemia ont été les premiers non-blancs à posséder une voiture, une Mitchell de six cylindres.
Soucieux d’équilibrer les risques et les opportunités, les Bahemia diversifient leurs investissements. Si le commerce reste leur core business, ils s’intéressent également à l’immobilier.
Une diversification d’investissements qui avait d’ailleurs incité à certains amis de l’aïeul à le faire douter. Ismael Bahemia : « Les Bahemia ont toujours pris des risques calculés mais on ne fait pas dans la spéculation. Certains critiquaient nos investissements dans l’immobilier, estimant que le retour sur investissement dans le commerce était plus élevé. Mais à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, quand la récession avait causé un arrêt de la circulation des marchandises, nous avons pu vivre décemment avec les loyers ».
Culture innée
L’important, insiste Ismael Bahemia, c’est de maintenir le capital confiance des clients, des autres opérateurs, des banquiers et des autorités envers la compagnie. Et de revenir sur l’histoire : « Notre famille est originaire de l’état indien du Gujarat, véritable terreau d’entrepreneurs. La culture marchande est innée chez les Gujaratis. A un moment donné, les marchands gujaratis ont même dominé le commerce d’outremer. Il y a aussi cette envie de nouveaux horizons qui a depuis toujours animé les Gujaratis. C’est sans doute ce goût de l’aventure et cette envie de créer quelque chose qui ont poussé mon arrière grand-père à venir à Maurice ».
Les Mauriciens ont-ils la fibre entrepreneuriale ? A cette question Ismael Bahemia trouve que les Mauriciens sont très intelligents, ont d’énormes potentiels, savent être créatifs, ont le sens du sacrifice et de l’engagement. Ce qui leur manque, analyse l’arrière petit-fils de Ismael Ibrahim Bahemia, c’est des structures adéquates pour les accompagner. Le Charetered Accountant suggère aux jeunes aspirants entrepreneurs de créer les opportunités et de tourner l’adversité en leur faveur et de ne pas se concentrer uniquement sur l’aspect financier, comme unique raison pour démarrer un business.
Parole d’un Bahemia de la quatrième génération.