Armoogum Parsuramen : ‘L’avidité de pouvoir mène à la folie où même le parricide se justifie’

Suite à son billet publié sur notre site web, on s’est intéressé aux déclarations de ce membre fondateur du MSM. Lors de notre entretien, l’homme, connu pour son calme durant les douze années aux côtés de SAJ, démontre une colère inédite et dénonce les forces obscures qui éclipsent le parti soleil.

Par Jessen Soopramanien

Armoogum Parsuramen, racontez-nous ce levé de soleil à Vacoas en 1983…

Il faut d’abord comprendre le contexte. La victoire aux législatives de 1982 était un fait marquant dans notre histoire politique. Ce plébiscite cachait des attentes légitimes de la population qui faisait face à des difficultés très pénibles. C’est une masse populaire nationaliste qui nous avait porté au pouvoir, mais au parlement et au cabinet c’était autre chose. Au moment de prendre des décisions courageuses dans l’intérêt supérieur du pays, les masques tombaient pour révéler la vraie nature de certains politiciens. Les profondes dissensions entres les leaders du MMM en 1983 ont été la source de la cassure du gouvernement. A l’époque, j’étais secrétaire général du PSM dirigé par Harish Boodhoo et on était le partenaire du MMM. Nous étions tout à fait d’accord avec les prises de positions de SAJ et grâce à la symbiose qui prévalait entre les deux camps, c’était tout à fait normal que nous unissions nos forces. Le MSM a donc pris naissance avec la dissolution du PSM et l’union des membres. Le choix de SAJ comme leader du MSM était une décision réfléchie et agréée par l’ensemble des membres du parti. La suite, nous nous sommes rendus à notre rendez-vous avec l’histoire.

Cette fusion des forces était-elle motivée par une idéologie commune ou plutôt une réaction conjoncturelle ?

La scission du MMM a, certes, changé la donne sur l’échiquier politique, mais l’union des deux camps était surtout à cause des mêmes valeurs socialistes que nous partagions. L’histoire nous a d’ailleurs donné raison. Le MSM était un jeune parti, mais incontournable. L’alliance électorale Bleu-Blanc-Rouge en 1987 et celle avec le MMM en 1991 ont tous un point commun : le MSM était le locomotive, le parti majoritaire des alliances.

Quelle image retenez-vous de SAJ ?

Fermeté et discipline, voilà deux mots qui résument parfaitement le règne de SAJ entre 1983 et 1995. En homme courageux et doté d’un caractère fort, SAJ était bien conscient de son devoir envers le pays. Et il ne se laissait pas faire. Je me souviens de l’épisode où la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Internationale voulaient imposer leurs reformes composées de divers ajustements structurels au pays. Si Paul Berenger et Ramduth Jaddoo étaient pour, on ne pouvait dire de même pour SAJ qui a tenu tête face aux pressions exercées par les institutions de Bretton Woods. Il avait proposé et obtenu auprès de ces institutions un moratoire de 4 ans pour redresser la situation socio-économique du pays. Au cas contraire, SAJ courberait l’échine devant elles. On connait tous la suite…En somme, SAJ a dirigé le pays avec une main de fer et d’un doigté incroyable. Nul ne pouvait contester le leadership de SAJ et on était tous soudés, point barre !

En 1983, SAJ était confronté à plusieurs défis : taux de chômage élevé, une économie en berne, des problèmes sociaux, notamment la drogue, logements, et il a su quand même mener le pays à bon port. Pourtant aujourd’hui, on retrouve SAJ de nouveau au pouvoir avec une majorité plus confortable qu’en 1983 et on peine à trouver les premiers signes de redressement. Comment expliquez-vous cela ?

Trois choses. D’abord les défis se régénèrent toujours. Ce qui nécessite vigilance et gouvernance permanente. Deuxièmement on vit actuellement la fin d’un cycle avec des configurations mondiales nouvelles et ensuite, les deux équipes ne sont pas comparables. Sans compter bien sûr, le fait que l’âge a pris le dessus sur SAJ. Au niveau de l’effectif, il faut reconnaitre que l’équipe de 1983 était un « Dream Team ». Ce qui est tout à fait diffèrent d’une bande de rêveurs. Cela a été un honneur de figurer dans une équipe qui était composée de personnalités compétentes, de travailler avec des cadres dévoués de la fonction publique et de côtoyer un secteur privé dynamique. J’irais plus loin pour dire que même au niveau de la qualité intellectuelle de nos citoyens, il y avait une différence.  Aujourd’hui, je constate un appauvrissement intellectuel généralisé qui touche en premier lieu les représentants politique.

En décembre 2014, la population a sanctionné le tandem PTR/MMM. Vu le taux d’abstention et les circonstances, on ne peut dire que les Mauriciens ont cautionné l’alliance Lepep. Faut surtout ne pas se berner. Ce résultat était inattendu des deux côtés. Mais en présentant SAJ comme Premier ministre, ils ont réussi un coup de maitre. De ce fait, tous les candidats élus du côté de la majorité sont redevables envers SAJ, y compris Pravind Jugnauth. Mais il a fallu que certains, à l’instar de Showkutally Soodhun, qui commence à clamer publiquement que Pravind Jugnauth devait prendre la barre du pays, pour que les fissures au sein du MSM apparaissent. Durant ses précédents mandats, la plus grande force de SAJ a été sa capacité de déléguer et de gérer. Il a été un meneur d’hommes. Or dans le cas de l’alliance Lepep, non seulement les brebis sont égarées, mais elles se battent entre elles.

Qu’en est-il de la culture du MSM ?

C’est chose du passé. Je vous le répète, absolument personne ne prévoyait une victoire de l’Alliance Lepep en 2014. Les candidats ont été pris à tout va. Ces derniers ne sont pas imbibés de la culture du MSM et du devoir envers le pays. Apres leur victoire, ils n’ont connu que l’affluence qui va avec les privilèges d’être au gouvernement. Si bien que, contrairement aux discours de « rupture », pour beaucoup, c’est la continuité. La seule chose qu’ils ont réussi à rompre c’est le parti. Ce n’est pas en accumulant les incohérences et en semant les germes de dissidence qu’on arrive à unir un peuple. Pire ce bicéphalisme entre père et fils nuit gravement à la gestion du pays. Aujourd’hui, les gens autour de SAJ ne sont pas imbibés de la culture de loyauté et du devoir envers le pays. Ils sont là pour se servir et non pour servir le peuple.

En tant qu’un des fondateurs, comment voyez-vous l’emprise de la famille Jugnauth sur le MSM ?

Le MSM que j’ai connu n’existe plus. La structure avait été mise en place pour pérenniser le parti afin de propager son idéologie. Aujourd’hui on a affaire à une entreprise dont le siège sociale se retrouve au Sun Trust. Il n’y a ni le « Sun » ni le « Trust ». La mainmise et ce contrôle économique autour du Sun Trust, de la famille Jugnauth, rendent toutes les autres considérations caduques. L’approche et le style de direction de Pravind Jugnauth au sein du MSM diffèrent largement de ceux de SAJ et sont sources de tensions intestines. Pravind Jugnauth et son entourage, dans leur ensemble, forment un système impitoyable qui va tout broyer sur la route du pouvoir. Au point que, le jour où il deviendra encombrant, même le père y passera.

Est-ce que la passation du pouvoir de SAJ à Pravind Jugnauth vous dérange ?

Nous vivons dans une démocratie et le socle de cette démocratie repose sur la voix du peuple. Même le pire de nos politiciens a le devoir de sauvegarder et défendre nos valeurs les plus profondes. Le poste de Premier ministre est sacrosaint car c’est aussi le chef de l’état. Le peuple a le droit de savoir et son choix est suprême. En 1995 j’étais le « Campaign Manager » de SAJ et on l’avait présenté comme celui qui allait devenir Premier ministre en cas de victoire. La défaite était cuisante et pénible, mais le peuple avait fait son choix. En 2000, l’alliance MSM /MMM avait présenté son formule à l’israélienne et le peuple avait donné son approbation. En 2014, c’était SAJ versus tous les autres et le peuple a pris la décision que ce serait SAJ. Il n’y a aucun autre accord, secret ou pas, qui tienne. Toute action contraire constituerait une entorse à la démocratie, voire une trahison envers la patrie. Mais l’histoire de la politique nous démontre que l’avidité de pouvoir mène à la folie où même le parricide se justifie.

Faut-il craindre Pravind Jugnauth à ce point ?

L’affaire d’Air Mauritius (Ndlr : limogeage de Megh Pillay du poste de CEO) symbolise le type de gestion de Pravind Jugnauth et son entourage. La mainmise de cette bande sur les affaires de l’Etat n’est plus une menace, mais une réalité. Si on peut empiéter sur les prérogatives du Premier ministre, et de s’ingérer de façon à nuire au bon fonctionnement d’une entreprise étatique comme Air Mauritius, on a toutes les raisons de s’inquiéter. J’ai été au conseil des ministres pendant 12 ans et je peux vous assurer que de telles décisions fondamentales ne se passent pas ainsi. C’est une atteinte à la démocratie.

Croyez-vous qu’avec des prothèses, ça ira mieux (Ndlr : Armoogum Parsuramen est le Président de la Global Rainbow Foundation)?

Le comportement de Pravind Jugnauth, ne serait-ce dans l’affaire Air Mauritius, ne lui fait pas honneur. SAJ n’est pas que son père à lui. Il l’a été pour beaucoup de Mauriciens. Des gens qui lui témoignent beaucoup plus de respect qu’il ne reçoit du parti dont il a été un des fondateurs. Pravind Jugnauth doit comprendre que même au sein des systèmes dynastiques, le pouvoir passe par le mérite.

Capital Media

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